Chasseurs de bonus

Comme la plupart des Néerlandais, Lodewijk De Waal est un homme accessible. Avoir dirigé pendant huit ans la centrale syndicale du pays, la FNV, n'a rien changé à sa bonhomie. On peut facilement le rencontrer au siège de l'organisation caritative Humanitas, qu'il préside. Ou bien alors, au siège de la banque ING : il est membre de son conseil d'administration depuis novembre 2008. Pas pour faire joli sur la plaquette, mais pour surveiller la bonne utilisation des 10 milliards d'euros d'argent public apportés à la plus grande banque des Pays-Bas le 20 octobre. Il dispose d'un droit de veto sur toutes les décisions stratégiques, parmi lesquelles figurent les rémunérations des dirigeants. Transposé dans le contexte français, cela donnerait Bernard Thibault ou François Chérèque nommé administrateur de BNP Paribas sur proposition de Christine Lagarde, avec voix délibérative et droit de veto sur la rémunération de Baudouin Prot.Lodewijk De Waal est de gauche, comme le ministre des Finances Wouter Bos, qui est carrément le leader du Parti travailliste. Mais le chef du gouvernement, Jan Peter Balkenende, qui traîne le surnom de Harry Potter à cause des lunettes rondes qu'il portait à ses débuts, est chrétien-démocrate. Il en est à son cinquième gouvernement, cette fois en grande coalition avec les sociaux-démocrates de Wouter Bos. Autant dire qu'on est très loin du bolchevisme. Et pourtant, les Pays-Bas ont été les premiers à adopter une loi pour encadrer les parachutes dorés et autres avantages des grands patrons. Pas seulement les banquiers, mais les présidents et directeurs des 90 sociétés cotées à la Bourse d'Amsterdam. Par exemple, s'ils gagnent plus de 500.000 euros net par an, leurs primes de départ sont surtaxées de 30 % pour peu qu'elles excèdent une année de salaire. La teneur de la loi est déjà surprenante, mais la date à laquelle elle a été votée l'est encore plus : c'était le 9 septembre 2008. Avant et non après le grand effondrement de la finance, à une semaine près. Intuition politique ? Talents extralucides ? Il se trouve simplement que le débat sur les rémunérations des patrons durait depuis près de vingt ans aux Pays-Bas.Pourquoi vingt ans ? Parce que c'est le moment où les bonus ont été inventés dans la forme actuelle : discrétionnaires, opaques, faramineux. Malcolm Le May, un Anglais qui a dirigé la banque d'investissement d'abord chez UBS puis chez ING, se souvient très bien du temps où les traders étaient des salariés ? ce qui ne les empêchait pas d'être d'efficaces dans leur job de négociants de titres. La technique de l'enveloppe individuelle pour chaque trader, accordée par le boss de la salle des marchés sous le sceau du secret, aurait été introduite par Goldman Sachs à Londres à la fin des années 1980. L'escalade des bonus a gagné de proche en proche : d'abord les autres banques, puis les autres places, enfin les autres secteurs qui ne voulaient pas se laisser trop distancer par la finance.Aux Pays-Bas, patrie de plusieurs multinationales géantes, de Philips à Unilever, la nouvelle mode des patrons surpayés est venue percuter une société profondément égalitaire. Pendant des siècles, les Néerlandais ont lutté ensemble pour apprivoiser l'eau. Face à une digue qui lâche, il n'y a pas d'aristocratie qui vaille. En tout cas, c'est à un industriel néerlandais, l'ancien patron d'Unilever Morris Tabaksblat, qu'on doit la première réflexion de grande ampleur sur la question des rémunérations : 100 propositions pour assainir la gouvernance des grands groupes, rédigées en 2004. Le code Tabaksblat serait peut-être resté lettre morte sans l'affaire ABN-Amro : cette grande banque a été vendue en 2007 à Royal Bank of Scotland, Fortis et Santander, pour la somme fabuleuse de 71 milliards d'euros. Au passage, 7.500 emplois ont été supprimés et le patron, Rijkman Groenink, a empoché 4,3 millions d'euros de prime de départ. Énorme scandale et raison pour laquelle la loi sur les parachutes dorés a été votée? avant la crise. Depuis, les Pays-Bas ont fait accepter un code d'autodiscipline draconien aux banquiers et assureurs qui ont reçu des aides d'État. La présence de Lodewijk De Waal au conseil d'administration d'ING ? où il discute pied à pied les primes 2009 qui seront versées en 2010 ? est le signe d'une volonté politique : le gouvernement ne se contentera pas de beaux serments. n
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