Obligations d'entreprise  :   une si belle affaire ?

oint de vue Muriel Nahmias Directeur des études & publications, BfinanceC'est la mode. Toutes les gestions en achètent et les particuliers seront bientôt directement sollicités avec le nouvel emprunt EDF à 4,5 % d'un montant de 1 milliard d'euros. Depuis le quatrième trimestre 2008, l'activité tourne à plein sur le marché primaire des obligations d'entreprise et des montants records historiques sont levés chaque semaine. Près de 270 milliards d'euros de dette obligataire ont ainsi été émis depuis le début de l'année en Europe par les émetteurs non financiers, presque 200 % de plus qu'en 2008 pour la même période. C'est une belle affaire pour les banquiers, qui engrangent commissions d'origination et de syndication et gains divers d'intermédiation, comme en témoigne l'explosion des PNB des métiers taux dans les comptes du premier trimestre. C'est également une belle affaire pour les investisseurs qui bénéficient de coupons élevés, particulièrement intéressants pour ceux qui ne sont pas soumis aux valorisations au marché des normes IFRS et qui en profitent pour constituer des fonds de portefeuille détenus jusqu'à l'échéance. Ils s'offrent même quelques petits allers-retours de trading pendant la période primaire, du moins pour ceux qui ont eu la chance d'être servis. De fait, depuis novembre et jusqu'à fin mars, le couple rendement/risque des obligations a été jugé attractif par rapport aux actions par les investisseurs institutionnels, en France et dans le monde (fonds de pension notamment), avec des coupons de 5 %, 6 %, voire 7 % ou plus pour des risques « investment grade ». Mais est-ce une belle affaire pour les entreprises ?  Si les banquiers, et les investisseurs dans une moindre mesure, gagnent beaucoup d'argent en ce moment avec les émissions obligataires, on serait tenté d'aller chercher le « dindon de la farce » du côté des émetteurs. De prime abord, les « corporates » payent cher, c'est-à-dire des marges de crédit (par rapport aux emprunts d'État ou aux taux de swaps) élevées. En effet, la plupart des émissions se sont renchéries dans la foulée de leur lancement, le spread (l'écart de taux) se resserrant dans beaucoup de cas de plus de 100 points de base. De quoi se demander, pour un directeur financier, s'il ne se serait pas fait un peu « abuser ». D'autant que, à en croire les banquiers originateurs qui le clament presque à chaque opération, les émissions sont sursouscrites, parfois plusieurs dizaines de fois ! Mais le côté positif ? et essentiel ? reste que les entreprises parviennent à se refinancer malgré tout pour des montants importants. À la faveur de la crise, un mouvement structurel de désintermédiation du financement des grands groupes internationaux s'amorce en Europe, à l'instar de ce qui s'est passé aux États-Unis, où la dette bancaire ne représente plus que 20 % des financements. Dans un contexte de sortie de crise encore incertain, et surtout sur fond de forte hausse des taux de défaut sur les crédits, les niveaux élevés des marges payées par les émetteurs sont le prix de la liquidité, d'une conquête d'une base d'investisseurs élargie parce que mondiale et de l'indépendance par rapport aux banques, qui ont relevé significativement leurs exigences de rentabilité sur le crédit bancaire. En plein mouvement de « deleveraging » (réduction de l'effet de levier), les banques aussi favorisent largement ce mouvement de désintermédiation, plus profitable pour elles, et assurant des revenus moins risqués.Bref, les obligations « corporate » paraissent une belle affaire pour tous. Mais gare à l'euphorie. Comme toute mode, elle n'aura qu'un temps. Les taux longs ont déjà entamé, notamment aux États-Unis, une forte remontée. Les spreads de crédit, eux, certes continuent de se détendre parallèlement au rally boursier et à un certain appétit retrouvé pour le risque. Les coupons sont déjà moins attrayants pour les émetteurs les mieux notés. À moyen terme, de nombreux facteurs de risque pèsent sur les taux longs en général et les spreads de crédit. Les flux acheteurs des investisseurs institutionnels connaissent d'ailleurs une stabilisation. Et les niveaux de sursouscription tant vantés par les banques ne signifient rien, les investisseurs demandant plus que ce qu'ils voudraient réellement par crainte d'être réduits lors de l'allocation. Quasiment toutes les enquêtes clients, dont le Bfinance Pension Funds & Insurance Asset Allocation Survey, montrent que les fonds de pension n'augmentent plus leur exposition sur les produits de crédit. Que ce soit à horizon un an ou trois ans, les obligations sont même la classe d'actifs la plus délaissée, selon le sondage semestriel de Bfinance. L'émission d'EDF à destination des particuliers, par ailleurs peu attrayante par rapport à d'autres papiers émis récemment (Lafarge, Michelin, ArcelorMittal, Saint-Gobain, etc. pour ne parler que des français) ou même certains emprunts d'État ou garantis d'État, pourrait d'ailleurs être le signe annonciateur que la fête des gains faciles est presque finie sur la dette d'entreprise. n
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