Un négociant en coton aux abois sur les marchés à terme

Suisse, 1778. Le lieu et la date de création du négociant en coton Paul Reinhart en disent long sur son expérience du marché. Pourtant, la filiale américaine de la société a subi de telles pertes sur le marché à terme qu'elle se trouve aujourd'hui à court de liquidités. Selon un courtier, Paul Reinhart pourrait avoir perdu plusieurs dizaines de millions de dollars. Car l'envolée des prix du coton en mars dernier sur l'Intercontinental Exchange a pris tous les spécialistes de court par son ampleur. Les prix de la fibre ont en effet grimpé de 15 % en 6 séances, atteignant 92,86 cents la livre le 5 mars dernier, avant de dégringoler rapidement, les cours étant retombés vers les 52 cents. La Commodity Futures Trading Commission (CFTC) enquête actuellement sur d'éventuelles manipulations de cours. " Il n'y a pas eu de manipulation, ce sont les achats indiciels qui ont tiré les prix à la hausse. Mais tout le monde a été terrorisé, la filière a perdu confiance dans son marché à terme ", juge un négociant.REINHART A BU LA TASSEComme Reinhart, de nombreux spécialistes du coton ont perdu des billes lors de la flambée de mars dernier. Les négociants étaient longs (détenteurs de stocks) sur le marché physique, parce que la demande n'était déjà pas très bonne. Ils se sont donc couverts face au risque de baisse sur les futures. L'envol des prix, tiré par l'entrée de fonds spéculatifs sur les matières premières agricoles, les a contraints de payer des appels de marge de plus en plus importants tous les jours. Un problème amplifié par la décision de certains brokers de modifier le calcul de ces marges. Plutôt que de prendre appui sur le prix des futures, dont la variation quotidienne est limitée à plus ou moins 3 cents, les intermédiaires ont imposé à leurs clients des appels de marge calculés sur les options beaucoup plus volatiles. " Cela a créé des appels de marge astronomiques. Et comme le marché physique n'était pas très dynamique, les négociants n'ont pas pu vendre pour limiter leurs pertes ", explique Jérôme Jourquin.Voilà pourquoi Reinhard a bu la tasse. La société a dû liquider ses positions et enregistrer de lourdes pertes. Au contraire, les négociants diversifiés comme Louis Dreyfus ou Cargill se seraient refaits rapidement grâce à la dégringolade des cours après ce pic. Si le sort de Reinhart Inc. n'est pas encore scellé, les spécialistes évoquent l'hypothèse de la reprise de ses positions par la filiale de Dreyfus sur le coton, Allenberg. Et ce afin d'éviter une réaction en chaîne sur la filière, y compris des faillites d'agriculteurs.Car le marché du coton n'est pas en grande forme depuis cet épisode, même si " New York a beaucoup plus baissé que ne l'a fait le marché physique ", constate Jérôme Jourquin, chez Sucden. Échaudés par l'épisode de mars, les acteurs font preuve d'attentisme. " Il est devenu impossible d'anticiper les mouvements ", regrette un autre négociant. Et la demande risque d'être fortement affectée par la récession. La Chine et l'Inde, qui sont les deux premiers consommateurs de la fibre, disposent aujourd'hui de stocks de coton filé importants. Les exportations de textiles de Chine n'ont progressé que de 1,8 % sur les neuf premiers mois de l'année, alors que la hausse du yuan par rapport au dollar pénalise l'industrie du textile chinoise.
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