Steve Jobs, le génie d'Apple, s'éclipse

Il y a dix jours, Steve Jobs envoyait un message destiné à rassurer la « communauté Apple ». Sa perte de poids résultait d'un déséquilibre hormonal dont le traitement « relativement simple » lui permettrait de récupérer rapidement toutes ses forces et de conserver les rênes du groupe. Soulagement ? relatif ? des commentateurs, investisseurs et admirateurs d'Apple, inquiets de la santé du patron emblématique du groupe, rescapé d'un cancer du pancréas en 2004.L'annonce surprise, mercredi soir, que l'homme-orchestre d'Apple prendrait finalement un congé maladie de six mois en raison de problèmes de santé « plus complexes » qu'estimé a dans ce contexte jeté un froid, entraînant une chute de plus de 5 % de l'action du groupe à l'ouverture de Wall Street. Comme en 2004, Tim Cook, le directeur des opérations d'Apple, assurera l'intérim de Steve Jobs pour la gestion quotidienne du groupe, tandis que ce dernier restera associé aux décisions stratégiques majeures. Depuis cet automne et ses dernières apparitions, alors qu'il est apparu très amaigri, la santé de Steve Jobs est redevenue une préoccupation pour les admirateurs d'Apple, et ses actionnaires.Car peu de dirigeants incarnent à ce point leur entreprise et son succès. Une question est sur toutes les lèvres : Steve Jobs est-il (ir)remplaçable ? Dans la technologie, il y a bien Bill Gates et Microsoft, mais l'homme s'est aujourd'hui complètement désengagé du groupe. Au-delà, l'investisseur Warren Buffett ? « l'oracle d'Omaha » ? est auréolé d'un même pouvoir ? presque ? magique sur les performances de son entreprise. Mais, au contraire du très secret Steve Jobs, Warren Buffett a fait preuve de transparence sur son état de santé et fait connaître son plan de succession.Deus ex machina : dans le théâtre grec, l'expression désigne l'entrée en scène d'une divinité qui résout une situation désespérée. Lorsque Steve Jobs revient aux commandes d'Apple, en 1997, l'entreprise est sur le flanc : chiffre d'affaires en baisse, pertes financières, emplois supprimés. Douze ans plus tard, Apple, réorienté vers l'électronique grand public et la musique avec quelques produits phares et incontournables ? l'iMac, l'iPod, iTunes, l'iPhone ? est devenu une entreprise extrêmement rentable en même temps qu'une des marques les plus puissantes du monde. La résurrection d'Apple appartient à la mythologie de la Silicon Valley.Visionnaire, charismatique, génie du marketing, souvent décrit comme tyrannique dans la gestion de ses employés, Steve Jobs n'a jamais péché par manque d'ambition. Le dirigeant, qui cherchait aux débuts d'Apple un directeur général pour l'entreprise, avait attiré John Sculley, de Pepsi, en lui proposant, modestement, de venir « changer le monde avec lui ». Vingt ans plus tard, l'objectif est atteint. Steve Jobs est associé à trois bouleversements majeurs : celui de l'ordinateur personnel, celui du film d'animation réalisé par ordinateur, avec Pixar, et celui de la musique en ligne avec le couple iPod-iTunes.Steve Jobs a fondé Apple à 21 ans, en 1976, avec Steve Wozniak, avec l'intuition du potentiel que représente le marché alors naissant de l'ordinateur personnel. L'Apple II, commercialisé en 1977, est un succès. L'entreprise s'introduit en Bourse en 1980. Jobs, 25 ans, pèse alors 200 millions de dollars, fera bientôt la couverture de « Time Magazine ». Quatre ans plus tard, l'entreprise lance un produit qui devient un standard de la micro-informatique : le Macintosh, premier ordinateur personnel doté d'une interface graphique et d'une souris, des innovations repérées? dans les laboratoires de Xerox, qui ne les a jamais exploitées. Malgré des débuts prometteurs, les ventes ralentissent pourtant rapidement. L'échec commercial du Mac entraîne des dissensions entre Jobs et la direction d'Apple, exacerbées par son inaptitude au compromis, et aboutit à son éviction d'Apple.de pixar à disneyJobs cherche à se remettre en selle, en fondant NeXt, un constructeur d'ordinateurs haut de gamme truffés d'innovations techniques, qui témoigne de son goût pour le design. Mais l'ordinateur, vendu 3.000 dollars, subit un échec commercial. NeXt se recentre sur le développement de logiciels. Parallèlement, Steve Jobs rachète pour quelques millions de dollars une petite entreprise d'animation par ordinateurs à George Lucas, le réalisateur de la trilogie «Star Wars», rebaptisée Pixar. Jobs s'entête, renfloue l'entreprise, longtemps déficitaire, et la réoriente vers la création de courts métrages et de publicité. En 1991, Pixar lance la production d'un long métrage appelé «Toy Story», que Disney accepte de cofinancer et de distribuer. «Toy Story», premier film d'animation entièrement conçu par ordinateur, est le premier d'une longue liste de succès populaires et critiques, parmi lesquels «Nemo», «Ratatouille» ou le récent «Wall-E». En janvier 2006, le groupe Disney rachète Pixar pour 7,4 milliards de dollars et Jobs accède au conseil d'administration du géant des médias.Retour en arrière. En 1996, Apple qui cherche un nouveau système d'exploitation, rachète NeXt, l'entreprise de Jobs, qui revient ainsi comme conseiller spécial dans le groupe qu'il a fondé, onze ans après son éviction. Apple est alors moribond. Le groupe affronte une concurrence féroce, voit ses parts de marché s'éroder, s'engage dans des diversifications hasardeuses, souffre d'une organisation industrielle défaillante. Le groupe fait l'objet de rumeurs d'acquisition par IBM, Sun, Oracle, et, en 1996, enregistre ses premières pertes. Apple vaut moins que son chiffre d'affaires en Bourse, d'un peu moins de 10 milliards. Six mois après son retour, Steve Jobs devient le directeur général « intérimaire » de la société, qui adopte le slogan « Think different ».Le premier produit de l'ère Jobs, l'ordinateur iMac, intègre cette philosophie et prend à revers le marché de l'ordinateur personnel. Avec ses couleurs acidulées, sans unité centrale, l'iMac, un bijou de design et de simplicité, se singularise dans un univers de PC ternes, avec un souci d'esthétique peu marqué. C'est le début de la renaissance d'Apple. Une deuxième étape est franchie en 2001, avec le baladeur numérique iPod. Malgré des fonctions techniques limitées, l'iPod, son design soigné, connaît un succès phénoménal et domine la concurrence avec insolence. Bientôt, une tendance commence à s'observer : les utilisateurs d'iPod se détournent du PC pour acheter des iMac. En 2003, iTunes donne pour la première fois accès aux catalogues des grandes majors musicales sur Internet ? de façon payante et légale s'entend. En 2005, l'iPod Nano amplifie le succès. Deux ans plus tard, après un buzz long de plusieurs mois, l'iPhone sort en 2007. L'action atteint un sommet en Bourse, à près de 200 dollars, un niveau plus de 30 fois supérieur à celui qu'avait le titre lors du retour aux commandes de Steve Jobs.
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