à Buenos Aires, le ballet des gardiens arroseurs

Le spectacle est bien connu des travailleurs tôt levés, souvent venus de lointaines banlieues, comme des noctambules sur le retour à la maison : à 5 heures du matin, quand Buenos Aires s'éveille, les trottoirs de la ville sont arrosés à grande eau. Tuyau en main, à quelques mètres les uns des autres, les gardiens d'immeuble devisent et rivalisent : c'est à qui aura le jet le plus long et le plus puissant. Foin de seau et de serpillière, ce sont des centaines de litres d'eau qui sont ainsi généreusement déversés sur le carré dont chacun a la responsabilité. Deux heures plus tard, quand les enfants se rendent à l'école, Buenos Aires exhibe, à la grande fierté de ses concierges, des trottoirs étincelants.Chaque matin, c'est la consommation d'une ville européenne de 300.000 habitants qui est ainsi gaspillée. Il y a quelques années, quand le service des eaux de la capitale argentine, aujourd'hui renationalisé, était concédé à Suez, les techniciens français s'en lamentaient amèrement. Mais les campagnes visant à promouvoir un usage responsable de l'eau, qui continuent aujourd'hui, n'y ont rien changé : le ballet matinal des gardiens arroseurs reste une attraction de Buenos Aires. Pourquoi en serait-il autrement, dans une ville où seulement 10 % des 2,7 millions de foyers sont équipés de compteur, la majorité des usagers ne payant qu'un forfait dérisoire ? Techniquement, rien ne s'oppose à une généralisation des compteurs qui précéderait une augmentation progressive du prix de l'eau. L'obstacle est culturel : pour les Argentins, il s'agit d'un bien dont on a le droit de disposer (même si, en partie par manque de moyens des distributeurs, l'accès à l'eau est cruellement limité dans les banlieues pauvres et les coins reculés). En augmenter le prix serait dangereux politiquement. Il est vrai que l'importance des disponibilités renforce l'idée d'une ressource inépuisable : avec l'immense Río de la Plata, Buenos Aires possède une mer d'eau douce et l'aquifère Guarani, dans l'est du pays, est le troisième au monde. À cette insouciance urbaine s'ajoutent les nécessités d'une agriculture intensive pour expliquer qu'avec 800 litres d'eau par an et par habitant l'Argentine consomme plus que l'Europe (400 litres) ou les États-Unis (600 litres). Jean-Louis Buchet, à Buenos Aire
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