" Il est urgent d'avancer vers une grande profession du droit "

La convention nationale des avocats s'ouvre aujourd'hui à Lille pour trois jours. Une forte affluence est attendue autour du thème " concurrence et compétitivité ". La profession d'avocat est à un tournant : installée par le président Sarkozy, une commission présidée par l'avocat parisien Jean-Michel Darrois réfléchit sur la mise en place d'une grande profession du droit en France. Elle devrait rendre son rapport au plus tard en janvier 2009.Pourquoi avoir choisi ce thème " concurrence compétitivité " pour la convention nationale des avocats ?Le Conseil national des barreaux a choisi ce thème en 2006. Nous avions considéré qu'il fallait relancer certains chantiers importants dont celui d'une grande profession du droit en pensant à l'époque davantage à l'avocat en entreprise. Une réflexion était nécessaire pour situer notre profession dans la concurrence européenne et mondiale et aborder la question des moyens de la compétitivité de nos cabinets d'avocat. Sans oublier des thèmes économiques qui font quand même partie d'une très large part de l'activité des cabinets. Avec le choix de ce thème, je ne savais pas que l'actualité nous rattraperait à ce point-là. Avec la commission Attali ou la loi de modernisation de l'économie, le gouvernement manifeste une volonté de moderniser. Nous nous situons dans cette mouvance pour faire en sorte que les choses changent.Comment les cabinets d'avocat français peuvent-ils être plus compétitifs ?Après analyse d'un certain nombre d'homologues étrangers, le constat est que les français paraissent moins compétitifs notamment à l'international. La raison est de ne pas disposer des moyens financiers pour s'exporter, à quelques brillantes exceptions près. Je ne crois pas que cela vient d'un manque d'esprit d'entreprise des avocats. La profession a su aussi s'adapter à de nombreuses mutations depuis 1971.Quelle est alors l'origine de ce manque de compétitivité ?En regardant la situation de multiples pays étrangers, la profession d'avocat est plus forte lorsqu'elle intervient dans tous les domaines du droit. Par exemple, un certain nombre de cabinets anglo-saxons réalise une très grande partie de leur chiffre d'affaires sur l'immobilier. En France, les activités juridiques immobilières relèvent des notaires. Puisqu'ils sont des officiers ministériels français, ils ne s'exportent pas et n'exportent pas notre droit. Il y a là une faculté de capitalisation des juristes français qui reste malheureusement dans nos frontières. Mais il existe d'autres activités, par exemple relancer la propriété intellectuelle en se rapprochant avec les conseils en propriété industrielle et la proximité de l'avocat avec l'entreprise via la problématique de l'avocat exerçant en entreprise. Il nous a donc paru nécessaire de reprendre une réflexion sur une grande profession du droit.Le choix de la profession d'avocat est soit de se développer soit de se marginaliser en se limitant au secteur judiciaire. Ce domaine demeure au coeur du métier d'avocat. Seulement l'activité judiciaire a tendance à se restreindre du fait des difficultés d'accès au droit. Seuls les très pauvres ou les très riches peuvent suivre des procédures. Avec l'augmentation des plafonds de l'aide juridictionnelle, les cabinets n'exerçant qu'une activité judiciaire rencontrent de graves difficultés. La profession a donc besoin de s'appuyer sur d'autres activités pour permettre de financer les missions de service public.Mais les notaires sont hostiles à cette grande profession du droit...La résistance des notaires est ­compréhensible. Tout changement est porteur d'inquiétudes. Toutefois, la situation du notariat est problématique au regard de la logique européenne. La notion de monopole n'est plus guère compréhensible dans une Europe qui s'est construite sur l'intérêt du consommateur et sur la mise en concurrence. Ce qui doit primer en toute matière est la ­compétence, la déontologie et la sécurité que donne l'intervention d'un professionnel qualifié via sa responsabilité civile, et non la défense d'un pré carré. Je ne suis pas favorable à une déréglementation mais à la saine mise en concurrence des professions garantie par la déontologie. Après les premières inquiétudes compréhensibles, je pense que le notariat pourrait tirer avantage de cette grande profession du droit, par exemple par la capacité de s'exporter et par là même le droit français. Selon moi, tout le monde doit y gagner à terme.Où en êtes-vous des discussions avec les juristes d'entreprise ?Elles ont repris avec l'Association française des juristes d'entreprise et le Cercle Montesquieu dans un climat de confiance et de respect mutuel. Les exemples étrangers sont parlants : Allemagne, Espagne, États-Unis, Grande-Bretagne... Ce qui a pu, à un moment donné, effrayer la profession d'avocat est la définition de juriste d'entreprise. Le Conseil national des barreaux travaille avec ces deux organisations dans la perspective de l'avocat en entreprise. C'est l'une des questions posées à la commission Darrois qui a entendu tout le monde sur le sujet. L'aspect déontologique est une fois de plus fondamental ainsi que le renforcement de la place du droit au sein de l'entreprise. Pour les professionnels du droit, la passerelle entre l'entreprise et le barreau s'en trouverait facilitée.À quels autres champs d'activité de développement pensez-vous ?La loi de modernisation de l'économie ouvre la fiducie aux avocats. Dans beaucoup de barreaux européens, l'activité fiduciaire fait partie d'une activité importante de l'avocat. Dans les champs plus classiques, un fort développement concerne le droit dans la propriété intellectuelle, les nouvelles technologies, la santé et les collectivités territoriales. Il existe de vastes étendues à conquérir dans une profession renforcée. Par ailleurs, nous considérons que les avocats peuvent faire du lobbying dans le cadre de leur déontologie. Celle d'un lobbyiste est de représenter un client dans la transparence, avec le respect du secret professionnel et surtout le respect des conflits d'intérêts. La transposition de notre déontologie dans laquelle on retrouve ces principes peut constituer une garantie. Par conséquent, le travail d'intermédiation d'un avocat avec les pouvoirs publics peut être qualifié de lobbyiste. Cela ne me dérange pas du tout ! Nous avons donc de belles perspectives en renforçant les structures via une grande profession du droit.Qu'attendez-vous de la commission Darrois ?Cette commission a d'abord le mérite d'exister et de mettre en lumière une problématique qui jusqu'alors n'avait pas reçu beaucoup d'écho des pouvoirs publics et de la chancellerie. À mes yeux, la commission Darrois a une responsabilité importante qui est d'examiner quel est l'avenir de la profession juridique en France et de tracer les lignes nécessaires d'évolution dans la perspective européenne et de sa mise en concurrence. Je souhaite que l'on aboutisse à une grande profession du droit, cela nécessitera des modifications législatives et réglementaires. Actuellement, les juristes français prennent du retard. Pour moi, il est urgent d'avancer et l'année 2009 devrait être décisive.
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