Instantanés de l'autre côté du front nazi

Nul mieux qu'Hannah Arendt n'a su expliquer la banalité du mal. Cette capacité des hommes les plus ordinaires à commettre l'un des pires génocides de l'histoire de l'humanité. Une magistrale exposition présentée au musée Niepce de Chalon-sur-Saône vient aujourd'hui illustrer le propos de la philosophe. Car elle rassemble quelque 300 photos souvenirs en noir et blanc ou en couleur, réalisées entre 1938 et 1945 aux quatre coins de l'Europe occupée, par des soldats de la Wehrmacht pendant leur temps libre.Paysages bucoliques, bidasses en goguette, troufions déguisés faisant la fête. Les hommes posent aux milieux des pâquerettes, font la course dans des sacs de pomme de terre, caressent leur caniche, reluquent les jambes interminables d'une auxiliaire des armées, cueillent des pastèques, font du canoë-kayak, se déguisent en Hitler pour mimer une remise de médaille. Éclatent de rire. Jusqu'à la nausée.Il y a là quelque chose d'effrayant tant ces soldats se sont acharnés à dénier la réalité, pour recomposer face à l'appareil un quotidien ordinaire des plus glaçant. « Aucune de ses photos n'a été censurée, explique François Cheval, commissaire de la manifestation et directeur du musée. Les nazis avaient au contraire tout intérêt à les laisser passer. Aux yeux de la population, si ce qui se passe sur le front est normal, alors la vie est normale. » Et toutes les atrocités commises en parallèle aussi.Au lendemain du conflit, chacun de ces hommes est rentré chez lui, son album sous le bras, s'étonnant même que la génération suivante refuse de partager ses souvenirs de guerre. Aussi, ces photos étaient-elles destinées à croupir dans les greniers allemands. Jusqu'à ce qu'un jeune et riche businessman canadien se mette en tête de réunir au sein d'une fondation basée à Londres ? Archive of Modern Conflict ? tous les tirages liés aux différents conflits de la planète. C'est là où François Cheval est allé puiser pour concocter son exposition. « Je ne voulais surtout pas sacraliser ces images et leur donner une valeur marchande ou esthétique qu'elles n'ont pas », explique Cheval. l'ennemi barbareAussi a-t-il choisi de les filmer sous forme de pêle-mêle. Et de les projeter sur deux écrans différents, en y superposant régulièrement des extraits de « Si c'est un homme » de Primo Lévi ou du « Journal » de Vassili Grossmann. Seuls quelques originaux, exposés à la sortie de la projection, attestent de la véracité de ces albums. Une manière redoutablement intelligente de poser la question de ce que la photo montre ou ne montre pas en tant de guerre. Présentées ainsi, ces épreuves disent avec force la spécificité du IIIe Reich qui sut si bien convaincre le commun des mortels de mettre en ?uvre la solution finale. il n'est rien de pire que ces images si proches de celles qui garnissent nos albums de famille, pour « détruire le mur de défense que nous nous sommes créé afin de nous distinguer de l'ennemi barbare », comme l'explique le commissaire de l'exposition.n« Nein, Onkel ! Instantanés d'un autre front 1938-1945 ». Musée Niepce, 28, quai des Messageries, 71100 Chalon-sur-Saône. Tél.?: 03.85.48.41.98. Jusqu'au 1er février. www.museeniepce.comJe ne voulais surtout pas sacraliser ces images et leur donner une valeur marchande
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.