« La crise va marginaliser plus encore le vieux monde »

Le monde d'après Aujourd'hui, c'est Alain Minc qui livre sa vision de l'après-crise, des changements qu'elle apportera, de ses leçons qui n'auront pas été tirées, et des nouveaux risques qui émergeront. La version longue de cet article est consultable sur Latribune.fr.interview Alain Minc« Le monde ne sera jamais plus comme avant », a dit Nicolas Sarkozy. Quels changements vous semblent être les plus certains ?Je ne crois pas qu'un changement radical de système soit possible, ni même souhaitable : si on l'évalue dans la durée, il faut admettre que l'adoption du marché, la libre circulation des biens, des hommes et des capitaux et la révolution technologique ont porté la croissance mondiale au taux inégalé de 6 % l'an pendant des années avant la crise. Si le dérapage du système nous aura coûté cher, il ne le condamne pas. Cela ne signifie pas que le monde repartira demain comme avant. Je décèle, en particulier, quelques changements notables : les États-Unis d'abord ont brutalement basculé dans le monde des vieux pays condamnés à une croissance lente. Aussi, face à la croissance toujours soutenue des nouvelles puissances, la crise devrait accélérer la marginalisation du vieux monde. Autre changement, la présence en ombre chinoise des États : sans contrôler l'économie, ils resteront, dans l'inconscient collectif, comme prêts à agir. Chacun aura retenu de cette crise que, quand tout s'effondre, seule leur garantie demeure crédible. Enfin, le système bancaire lui-même portera la trace de cette crise : l'intervention des États au capital des banques a conduit à un retrait des banques étrangères qui se sont concentrées sur leurs pays d'origine. On assiste désormais à une balkanisation des systèmes bancaires. Et cela devrait contribuer à ralentir la croissance mondiale.Pourtant, concernant les banques, tout dans leur comportement semble indiquer qu'elles sont reparties comme avant?C'est même bien pire ! Le jeu ambigu du gouvernement américain à leur égard, et plus particulièrement de « l'employé de Wall Street » Tim Geithner, les a renforcées comme jamais ! Après avoir été sauvées par l'État fédéral, avoir utilisé ces nouveaux fonds propres pour spéculer sur les marchés, puis avoir émis du capital dès qu'elles ont vu leur cours de Bourse grimper, et enfin avoir remboursé l'État pour se payer à nouveau des bonus records, les banques se trouvent plus fortes et arrogantes que jamais. N'oubliez pas qu'elles se trouvent dans une situation de puissant oligopole. Hier, elles ignoraient qu'elles étaient mortelles et se pensaient sans assurance-vie. Aujourd'hui, elles se savent immortelles, dotées d'une assurance-vie en toutes circonstances !Les grands États se retrouvent bien impuissants face à elles?Il est clair que leur nouvelle position de force ne va pas tarder d'irriter leurs clients, et que la tension ne fera que monter en intensité. Aussi, au nom de la concurrence, de plus en plus de voix s'élèveront pour exiger tôt ou tard leur éclatement. Mais pour ce qui est de la gestion du système financier par les banques centrales, les leçons de la crise de 1929 ont été remarquablement apprises : dès le 7 août 2007, Jean-Claude Trichet décidait d'injecter 75 milliards d'euros dans le système bancaire : il avait parfaitement perçu les risques d'illiquidité du système.En attendant, on ne voit guère émerger de contre-pouvoir crédible? Comme si, en somme, rien ne s'était passé.Si la perspective d'une autorité morale incontestée me paraît illusoire, je ne suis pas certain que les acteurs agiront en dehors de tout garde-fou. Une seule force me paraît susceptible de jouer ce nouveau rôle : la peur de disparaître. Il faut se souvenir qu'en octobre 2008, les chefs d'État et responsables des affaires économiques ont bien cru que tout allait s'arrêter. Même Ben Bernanke, le président de la Fed, a affirmé à la veille de l'Eurogroup : « Si l'on ne fait rien, lundi, il n'y aura plus d'économie. » À cet instant, on est passé tout prêt du gouffre. Qui peut l'oublier ? Ce souvenir devrait, à lui seul, empêcher les acteurs d'agir de manière irresponsable.Voyez-vous de nouveaux risques émerger ? Le surendettement des États sera-t-il supportable dans un monde au ralenti ?On connaît les deux voies du désendettement des États : la hausse des prélèvements obligatoires, qui étouffe un peu plus la croissance, et le retour de l'inflation. Les États-Unis et le Royaume-Uni pourraient tenter la voie de l'inflation maîtrisée, par une politique de taux d'intérêt nominaux inférieurs à l'inflation : c'est la voie la moins douloureuse du désendettement. La BCE la suivra-t-elle ? Si trop de pays de la zone euro souffrent de la force d'une monnaie unique pesant sur leurs exportations, je ne l'exclue pas. Mais en tout état de cause, le surendettement n'est pas un risque majeur quand tous les États le sont. C'est la démographie relative des pays qui fera la différence. Le vieillissement accéléré de l'Allemagne va générer pour notre voisin une dette additionnelle considérable. La France se trouve, sur ce point, dans une situation bien plus favorable. S'il y a un risque, incontrôlable, c'est celui d'un effondrement du dollar, car les banques centrales ne sauraient pas le conjurer. Propos recueillis par Valérie SEGONDLundi, la suite de notre série avec l'interview de Pierre-Henri Tavoillot
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