Interdire les ventes à découvert est inefficace et déstabilisant

Les régulateurs ont imposé à travers le monde des interdictions de vente à découvert de valeurs financières. Leur hostilité vis-à-vis de cette pratique n'est pas nouvelle. Aux États-Unis, les vendeurs à découvert ont été accusés d'être à l'origine du krach boursier de 1929. Depuis, diverses restrictions sur cette pratique ont été instaurées avant que les récentes interdictions ne restreignent encore la vente à découvert des valeurs financières.Selon une étude célèbre publiée en 1977 par Edward Miller, professeur d'économie à l'université de La Nouvelle-Orléans, les restrictions sur la vente à découvert entraînent une surévaluation des cours des titres. Par exemple, deux groupes d'investisseurs ne détiennent pas un titre donné. Un groupe est optimiste à propos de ce titre et l'autre est pessimiste. S'ils ne peuvent vendre à découvert, les pessimistes ne seront pas en mesure d'exprimer leur opinion. Seuls les optimistes achèteront le titre et le prix reflétera la moyenne des attentes parmi eux, et non pas la moyenne des attentes de tous les investisseurs. Les prix seront donc surévalués par rapport à la moyenne des attentes du marché.Par ailleurs, ces restrictions empêchent les informations d'être intégrées rapidement et sans heurt dans les prix, affirment Harrison Hong, professeur de finance à Princeton, et Jeremy Stein, professeur d'économie à Harvard. Dans un article de 2003, ils montrent que les informations négatives sur les prix des titres peuvent rester cachées puisque les vendeurs à découvert potentiels ne peuvent pas exprimer leur opinion sur le marché. Ces informations négatives ne seront révélées aux acteurs que quand les titres commenceront à baisser. Le danger est que la baisse des prix s'aggrave à mesure que l'information négative se répand, entraînant un krach boursier.Aujourd'hui, la question est de savoir si les interdictions de vente à découvert ont été efficaces ou non dans la crise récente. Une étude intitulée « Short selling activity in financial stocks and the SEC July 15th emergency order », publiée par Arturo Bris, professeur de finance à l'Insead, analyse les interdictions de la SEC sur la vente à découvert des valeurs financières aux États-Unis. Sa conclusion : elles ont été inefficaces. La volatilité de ces titres a pratiquement doublé dans la période suivant l'interdiction. De plus, les fourchettes d'achat-cours de vente sur ces valeurs ont augmenté d'un tiers. Cela montre que la liquidité a diminué considérablement après l'interdiction de la vente à découvert.L'Edhec a aussi tenté de répondre à cette question en s'intéressant au comportement des indices de marché actions et aux titres européens dont les cours ont chuté pendant la période de l'interdiction. Pour Abraham Lioui, professeur de finance à l'Edhec, cela a entraîné une augmentation de la volatilité des indices de marché actions. Fait intéressant, l'auteur conclut que l'impact de la crise financière elle-même fut moindre que celui de l'interdiction imposée par les régulateurs. L'analyse des titres financiers concernés par l'interdiction révèle que ceux-ci subissent une hausse de la volatilité idiosyncrasique, qui peut être interprété comme une augmentation du « bruit » sur le marché. Ainsi, l'interdiction de vente à découvert peut avoir conduit à une réduction de l'information sur les prix et à une augmentation de la volatilité du marché.preuves empiriquesDu point de vue théorique, et au vu des dernières preuves empiriques, les récentes interdictions sont peu justifiées. La théorie financière montre que les restrictions sur les ventes à découvert ont un effet déstabilisant plutôt que stabilisant. Les récentes études analysant la période de l'interdiction prouvent que celle-ci n'a pas amélioré la qualité du marché. Felix Goltz** Directeur des études à l'Edhec Risk & Asset Management Research Centre.
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