Bal tragique à l'Élysée : le département est mort

Engagement de campagne de Nicolas Sarkozy, la mise à sac de l'organisation territoriale française est sur les rails. Décrétés mauvais gestionnaires et accusés de mettre en place des aides en doublon, les élus des conseils régionaux et généraux sont en ligne de mire du fusil élyséen. On appelle à la rescousse les exemples européens, occultant que dans la plupart il existe quatre assemblées élues au suffrage universel... Une réactualisation du dictionnaire flaubertien des idées reçues s'impose : côté gouvernemental, on veut faire croire que les politiques (économiques, sociales, environnementales, structurelles...) soutenues par les départements se chevauchent inutilement avec celles des régions ou des intercommunalités, qu'elles sont donc coûteuses tant en financement qu'en instruction.Croiser les regards.S'il est une chose qui n'a jamais été démontrée, c'est bien celle-ci. Sans doute, les financements croisés (État, régions, département, pays, communes...) sont-ils peu lisibles par l'opinion publique et c'est regrettable. Mais l'instruction des projets, sous des angles différents, selon l'acteur public concerné, garantit une certaine cohérence dans l'analyse et contribue à l'exercice de la démocratie. Aujourd'hui, un projet à financer est soumis aux techniciens et élus de la communauté de communes, du département et de la région. Loin de provoquer un doublon, cette méthode permet de croiser les regards et de former un contre-pouvoir dans le sens de l'intérêt général. Comment croire, en effet, qu'un seul interlocuteur puisse décider de tout ?Le président de la République aime à décider seul et sa vision des territoires est à son image : très " centralisatrice ", bien plus qu'il n'y paraît. Il suffit de voir comment le gouvernement a abandonné les services publics en milieu rural, sous tous les prétextes, pour s'en rendre compte. M. Sarkozy nous dit : moins de tribunaux pour une meilleure justice, moins de trésoreries parce que cela ne sert à rien, moins de bureaux de poste parce qu'il faut se moderniser, moins de places en unités de soins de longue durée parce que cela coûte trop cher. C'est ainsi que le gouvernement " déménage " les territoires pendant que les départements tentent de les réaménager pour pérenniser leur dynamique économique et sociale.Passons sur les motivations politiciennes qui guident le projet gouvernemental : réduire la visibilité des régions majoritairement à gauche et des départements, particulièrement actifs et innovants. Le président de la commission en charge de cette refonte territoriale, le très polyvalent Édouard Balladur, dont l'expérience de la politique territoriale est pour le moins faible, plaide pour un principe : une mission, le développement économique par exemple, est assurée par une structure ; à charge pour elle de lever l'impôt. Selon cette règle, séduisante sur le papier, il y a fort à parier que les conseillers généraux seront les grands gestionnaires de la politique sociale.À eux, donc, de lever l'impôt ? Mais sur quelles bases ? Toutes les prestations sociales relèveront-elles d'eux ? Quid des CAF ? Quid des prélèvements sociaux ?Autre possibilité : les départements nomment en leur sein des conseillers régionaux, c'est un retour à la France d'avant la décentralisation. Dans cette optique, la région lève l'impôt et le département n'est qu'une chambre d'enregistrement. Si analyser, et évaluer les actions de toutes les collectivités (État compris), est une piste à suivre, mieux cerner les politiques à la charge des uns et des autres constitue une urgence.Dans cette optique, le rôle joué par l'État ne doit pas être tabou au risque que la commission Balladur se transforme en bal masqué, où nous pourrions prendre un coup de couteau. Depuis les grandes lois de décentralisation des années 80, qui pourrait admettre que le gouvernement impose aux collectivités locales - même en les consultant poliment - une réflexion où l'État, en tant que financeur des collectivités locales, serait absent ?Sur ce point, rappelons que les transferts de compétences imposés aux départements par l'État ne sont pas correctement compensés financièrement. Et cela dans des proportions suffisamment considérables pour que les présidents de conseils généraux de droite, comme de gauche, protestent...Une logique d'inspiration libérale.Le gouvernement a ensuite beau jeu de montrer du doigt les élus locaux en les accusant d'augmenter la pression fiscale. C'est vrai, tout le monde n'a pas la chance de pouvoir offrir des milliards de cadeaux fiscaux aux plus riches. La logique sarkozyste de l'organisation territoriale est d'inspiration libérale. C'est celle du Sarkozy candidat qui voulait confier les retraites des Français aux fonds de pension américains et encourager les crédits hypothécaires en France.Une crise des marchés après, où en sommes-nous ? Il faudra lui demander. Mais sur l'aménagement et la gestion du territoire, le président ne semble pas avoir changé. À ce titre, ses projets doivent être combattus et amendés. Au lieu de monter les élus locaux les uns contre les autres, la France doit se doter - enfin ! - d'une organisation territoriale plus efficiente où l'État ne pointera plus aux abonnés absents, trop occupé à transférer ses charges et à déménager ses services de proximité !Oui à l'idée que chacun se mette autour de la table, mais pas avec un État dictant ses quatre volontés. Puisque le chef de l'État veut se donner une image différente et moins soumise aux marchés, qu'il entende l'opinion des acteurs locaux prêts à s'impliquer plus encore mais selon des règles transparentes et loyales.
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