Le sauvetage de Fortis pèse sur l'avenir de la Belgique

Imaginons un instant que le pire soit advenu. Nous sommes le 1er juillet 2009, veille d'un conseil des ministres des Finances européens de crise. Neuf mois et demi après l'explosion de la bombe Lehman Brothers qui a fissuré les façades des plus solides institutions financières, l'onde de choc a atteint les États. Au printemps, la Grèce et l'Irlande n'ont dû leur survie qu'à une opération de sauvetage orchestrée par l'Allemagne. Depuis deux semaines, la contagion reprend mais, cette fois-ci, à l'épicentre de l'Union, dans le pays où siègent ses principales institutions, en Belgique. Le 2 juillet, Didier Reynders, vice-Premier ministre, va devoir solliciter l'aide de ses homologues. Suite à une injection massive de liquidités et à une nouvelle recapitalisation de la banque nationalisée Fortis, l'État peine à se refinancer sur les marchés. Lors d'un premier sauvetage, en octobre 2008, le gouvernement avait tenté d'adosser la banque belge à BNP Paribas. Son portefeuille de produits structurés, estimé à 40 milliards d'euros, soit 11 % du PIB du royaume, était trop lourd pour ses épaules. En position de force, les âpres négociateurs du groupe bancaire français avaient obtenu que les 20 milliards d'euros d'actifs les plus risqués soient financés à 24 % par l'État et à 66 % par les anciens actionnaires, autrement ?dit Fortis Holding. BNP Paribas se contentant de prendre 10 % à sa charge. Les conditions du « deal » avaient été jugées « dures mais acceptables » par un groupe d'experts désignés par la justice.scénario à l'islandaiseMais l'histoire avait mal tourné. Le 11 février les actionnaires de Fortis Holding avaient balayé rétroactivement la fusion franco-belge au terme d'une épique bataille judiciaire. Et voilà qu'à présent l'État actionnaire se voyait à nouveau contraint d'injecter des liquidités dans un établissement dont les seuls dépôts de ses clients représentaient mi-2008 près des deux tiers du PIB. Fortis Bank menaçait de couler la Belgique.Pure fiction que ce Conseil de crise. La Belgique n'est pas en cessation de paiements. Mais ce scénario à l'islandaise n'est probablement jamais sorti du radar du vice-Premier ministre et ministre des Finances, Didier Reynders, depuis que la crise financière a amené par le fond la plupart des établissements financiers du pays, Dexia en tête. Le « non » des actionnaires de Fortis Holding au mariage avec BNP Paribas de leur ancienne filiale bancaire nationalisée en octobre 2008 pour cause de cessation de paiements, ainsi que de leur filiale d'assurances, n'a rien de fictif. L'échafaudage qui devait solder les problèmes de liquidité de Fortis Bank s'est bel et bien effondré le 11 février.Deux visions apparemment irréconciliables s'opposent dans cette affaire. D'un côté, le gouvernement pour qui le prix à payer pour endiguer un risque systémique justifie l'acception les conditions draconiennes imposées par BNP Paribas. De l'autre, celui des actionnaires de Fortis Holding pour qui ces conditions ne sont rien d'autre qu'« un hold-up d'État ». Or, ces derniers ont jusqu'à présent incroyablement bien réussi à avancer leurs pions.Il est vrai que Didier Reynders, pilier libéral et francophone de quatre coalitions gouvernementales successives, a commis ? ou bien laissé commettre, on ne le sait pas encore ? une grave erreur en tentant d'emporter par un subterfuge de dernière minute l'adhésion des actionnaires de Fortis Holding le 11 février. Juridiquement indéfendable, la tentative de faire voter Fortis Bank, contrôlée par l'État, à l'AG, sur la base de titres détenus en réalité comme collatéraux d'une dette obligataire, a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.l'irrationalité triomphePierre Nothomb, associé de Deminor, qui conseille quelques-unes des plus grosses fortunes belges, avait appelé à faire barrage à l'accord avec BNP Paribas. Il se souvient de l'effet produit par cette tentative funeste sur quelques grands clients qui s'étaient laissé convaincre par les arguments du gouvernement : « Peu avant midi, je suis sorti boire un café. J'ai croisé trois de mes clients qui avaient chacun plus de 2 millions de titres. Venus pour voter ?oui?, ils avaient finalement changé d'avis. » Le « non » l'emporta à 0,24 % des suffrages exprimés, soit autour de 1,2 million de voix.Ce fut un vote de principe. « Irrationnel », clamèrent les analystes. Leur verdict était clair. « En cas de triple ?oui? (autrement dit de démantèlement du groupe en faveur de l'État néerlandais et de BNP Paribas), notre valorisation était de 1,60 euro par action », se souvient l'un d'eux. Une semaine après l'AG, Fortis cotait entre 1,15 et 1,2. Quand on détient des actions par millions, cela fait une jolie différence. Et pourtant, le non l'emporta. D'où ce commentaire d'un financier de la place : « Dans cinq ans, le prix Nobel d'économie ira à celui qui sera capable de modéliser les réactions des actionnaires dans les assemblées ! » L'erreur d'appréciation de l'autorité publique montre quoi qu'il en soit que l'irrationalité s'est avérée ce jour-là la chose la mieux partagée du monde.La révolte d'une fraction riche et influente de la société belge, celle des Janssen, Vandemoortele, de Jonghe d'Ardoye, de Marnix et autres Selliers de Moranville, qui fournissent depuis des générations le fonds de roulement de l'économie du pays, a des causes plus profondes. En quinze ans, les fleurons du BEL 20, l'indice des valeurs belges : Electrabel, la Générale de Belgique et Petrofina, pour ne citer que les plus gros, ont basculé dans les mains de groupes français. Fortis était à l'inverse celui qui avait conquis les Pays-Bas en rachetant ABN- Amro. Sa chute et sa cession à BNP Paribas avaient provoqué un ras-le-bol. La crise fut donc l'étincelle qui rallia les forces conservatrices d'un pays où les rentiers sont moins taxés que les salariés.risque systémiqueDidier Reynders assure faire passer les actionnaires à la caisse pour protéger épargnants et salariés. Mais même pour ce partage-là, il lui fallut l'appui d'un tiers, BNP Paribas, pour l'opérer. Les actionnaires ne lui reprochent pas tant d'avoir songé à entériner leur ruine que de n'avoir pas mieux défendu leurs intérêts vis-à-vis du repreneur français.Depuis quelques jours, le scénario d'un cavalier seul de Fortis, où cohabiteraient à nouveau des activités de banque et d'assurance, défendu par les actionnaires et apparemment soutenu par le nouveau conseil d'administration, a repris du poil de la bête. Mais il suppose un fort engagement du gouvernement pour garantir les actifs risqués. Or, les craintes du gouvernement quant aux effets systémiques d'une défaillance de Fortis restent entières. Le 20 février, l'agence de notation Fitch a relégué la banque au rang d'émetteur spéculatif, relève le quotidien « Le Soir ». Les négociations entre conseil d'administration, gouvernement fédéral et actionnaires, elles, se poursuivent. n Le portefeuille de produits structurés de fortis pèserait 11% du pib du royaume.
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