Libérez les jeux... et les joueurs !

Au premier regard, il peut sembler que la législation sur les jeux et paris est un sujet marginal. Elle constitue pourtant un cas pratique particulièrement éclairant, et touchant de nombreux Français, sur les vertus économiques et morales de la concurrence.Saluons tout d'abord le fait que le principe même de l'ouverture soit désormais acquis. Si le calendrier est respecté, elle devrait même devenir effective avant l'été 2009. Il est dommage, en revanche, qu'il ait fallu attendre que la France fasse l'objet de procédures judiciaires engagées par l'Union européenne contre le monopole de la Française des Jeux et du PMU sur les sites de jeux en ligne pour engager le processus d'ouverture de ce marché.Alors qu'on joue déjà librement sur les sites anglais, italiens ou maltais, le retard français est principalement fondé sur deux causes : une certaine défiance à l'encontre des vertus - pourtant réelles - de la concurrence et l'angoisse, pour Bercy, de perdre des recettes fiscales, alors même qu'une ouverture à la concurrence réussie ne peut qu'accroître ces dernières, comme cela s'est passé en Italie.Le jeu d'argent en lui-même soulève certes des réserves. Mais il convient pourtant de regarder le jeu comme une activité humaine normale et légitime. Toute activité de ce type tend en effet à une seule chose : créer des satisfactions individuelles.Pour un économiste, le simple fait que des êtres humains jouent, alors qu'ils pourraient faire autre chose, est la preuve absolue que le jeu apporte des satisfactions aux joueurs. Bien entendu, cette activité est risquée. Le joueur peut perdre de l'argent et du temps. Mais l'existence de ce risque, qui est, à des degrés divers, présent dans n'importe quel acte humain, n'empêche pas de qualifier l'action de jouer de pleinement rationnelle.Goût du risque.Certes, le degré de risque est plus ou moins important selon les activités, et l'aptitude des individus à prendre des risques est plus ou moins grande selon les situations et les personnes. Ainsi, un entrepreneur prend plus de risques qu'un salarié, un joueur qu'un non-joueur, etc. Mais dès lors qu'ils ont agi librement, l'action des individus doit être perçue comme légitime et rationnelle.Or aujourd'hui, le joueur n'est, au regard du droit français, pas pleinement libre. À cause de la réglementation, il ne peut officiellement jouer que sur les sites de jeux en ligne proposés par le monopole public et toute concurrence est interdite. Pourtant, la concurrence est une force d'innovation incomparable. Elle conduit à imaginer de nouveaux produits et services, à explorer de nouveaux marchés, à mieux prendre en compte les véritables désirs des consommateurs.Les marchés d'ores et déjà ouverts ont ainsi proposé des sites plus attractifs, des rémunérations plus séduisantes (en moyenne, 95 % des mises reviennent aux joueurs sur les jeux en ligne contre seulement 55 % pour le Loto et 73 % pour le PMU) et ils ont mis en place des processus marketing plus percutants que les sites français. En conséquence, plus des trois quarts des Français qui jouent en ligne passent par des sites non officiels. L'économie numérique abat les frontières - devenues virtuelles - et permet moins facilement qu'hier le maintien des digues étatiques.La rationalité de principe de l'acte du joueur libre prive par ailleurs l'État d'une justification totalement infondée du monopole : la protection du joueur. Comment en effet refuser la concurrence privée ou chercher à créer de sévères barrières à l'entrée pour limiter le nombre de nouveaux entrants sous le prétexte de " protéger les consommateurs ", alors même que la Française des Jeux s'adresse à des joueurs lucides et que, par ailleurs, elle n'a cessé, par des campagnes de publicité mobilisatrices, d'inciter les Français à jouer ? Quant aux personnes souffrant d'addiction, elles représentent évidemment la même proportion, que le prestataire soit public ou privé.Les recettes de l'État - au titre des impôts ou au titre de ses droits d'actionnaire - trahissent en réalité le caractère purement fiscal du monopole. Cela révèle aussi un conflit d'intérêts malsain et invite à la plus grande méfiance à l'égard de l'argument de la protection des individus. Une vraie concurrence incitera, à l'inverse, les acteurs qui souhaitent émerger à offrir protection et satisfactions aux joueurs, tout en respectant leur liberté de choix et d'action. Elle permettra également de rapatrier en France des emplois (l'autrichien Bwin emploie 1.500 personnes et le maltais Unibet près de 400, etc.), des bénéfices et des recettes fiscales aujourd'hui à l'étranger, et occasionnera un déploiement de ce marché, qui, à terme, permettra d'accroître les rentrées fiscales.Les discours alarmistes à ce sujet doivent d'ailleurs être relativisés tant la part des recettes fiscales provenant des jeux est faible, ce secteur représentant moins de 1 % du produit national et les effets de cannibalisation entre le on line et le off line étant très limités.Effets bénéfiques de la concurrence. Mais encore faudrait-il que l'État français n'annule pas les effets bénéfiques de la concurrence par une fiscalité qui inciterait les opérateurs à demeurer à l'étranger plutôt que de rejoindre le sol français. La concurrence fiscale existant aujourd'hui sur le domaine des jeux en ligne, avec notamment, à Malte, des taux particulièrement incitatifs de 0,5 % des mises pour les paris sportifs et de 5 % sur le produit brut des jeux pour les jeux de casino et de poker en ligne (avec un plafond de prélèvement pour chaque entreprise), il est inimaginable de pénaliser les jeux à hauteur de 28 % des mises (sans compter, donc, les sommes qui sont ensuite reversées aux joueurs), comme c'est aujourd'hui le cas pour les jeux de la Française des Jeux, car cela découragerait immédiatement les joueurs en ligne.Surtout, l'ouverture d'un nouveau secteur justifie, pour son parfait déploiement, un taux raisonnable qui devrait au demeurant prendre pour base non pas le montant des mises, mais le produit brut des jeux. Il convient d'ailleurs de tirer les leçons de l'expérience : ainsi, lors du passage d'un prélèvement de 5 à 15 % du produit brut des jeux réalisé en Grande-Bretagne après le vote du New Gambling Act, de nombreuses sociétés ont immédiatement émigré vers des cieux fiscaux plus cléments. Seule une fiscalité véritablement satisfaisante permettra à la concurrence d'être profitable non seulement pour les consommateurs mais aussi pour l'État.(*) Pascal Salin est professeur d'économie à l'université Paris Dauphine.
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