« Ce que je soumettrai le 7 mai au président de la République »

Avec la crise économique, la lutte pour la diversité est-elle vraiment une priorité ?Bien sûr que oui. La crise économique aura de lourdes conséquences sociales. Tous les Français en ressentiront ses effets, mais ceux pour lesquels ils seront les plus graves, ce sont les plus fragiles, qui font justement l'objet de discriminations. Il ne faut jamais relâcher nos efforts contre les discriminations, surtout en temps de crise, le risque est grand que resurgissent de vieux démons. N'oublions pas les enseignements de l'histoire. Je suis de ceux qui considèrent que le progrès social est essentiel pour nourrir la reprise économique et l'amplifier.Pour mesurer la diversité, a-t-on besoin de ce que certains appellent des « statistiques ethniques » ? N'est-ce pas un coup de canif dans notre modèle républicain qui affirme que tous les Français sont égaux ?Le coup de canif à notre modèle, ce sont les discriminations, et non la perspective de meilleurs outils de connaissance. Je récuse la formule de « statistiques ethniques » que je n'ai jamais employée et qui ne correspond pas à ce dont nous avons besoin. Ceux qui l'utilisent font une fixation maladive sur l'ethnicité, alors qu'il y a d'autres dimensions de la diversité, sociale, homme/femme, etc. Parmi toutes ces dimensions, la question ethnique est sensible, et je recommande effectivement qu'on puisse mieux l'observer, en garantissant la liberté et la protection de chacun, grâce à l'anonymat et au volontariat, sans recensement et sans « fichiers » bien sûr. C'est une des recommandations ? une parmi 90 ? que je soumettrai au président de la République le 7 mai. Il n'y a rien là qui remette en cause le modèle républicain, au contraire. Tous les Français sont égaux et il faut s'assurer qu'ils soient effectivement traités également. Je suis convaincu que la diversité est un indicateur utile ? ce n'est pas le seul ? pour le vérifier. Ces enquêtes seront un instrument de preuve des discriminations indirectes pour les plaignants, qui sont aujourd'hui démunis. Elles permettront de constater nos avancées et nos échecs, de faire porter nos efforts là où sont les besoins. Nous ne pouvons plus nous priver d'un outil de mesure mieux adapté à la réalité du corps social, et j'ai demandé à des personnalités qualifiées de nous dire comment procéder.La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) demande la levée des conditions de nationalité pour les emplois réservés de la fonction publique et de certains secteurs de la défense. Cela concerne 7 millions d'emplois. La soutenez-vous ?La condition de nationalité a été établie pour des raisons précises. Elle ne peut être réduite à une simple discrimination. Elle ne peut être balayée d'un revers de la main. Je ne trouve rien de choquant aux conditions de nationalité pour ce qui relève directement ou indirectement de prérogatives de puissance publique, de souveraineté, de sécurité. Il faut sûrement en toiletter la liste, lorsque le critère de nationalité est manifestement injustifié ou abusif, mais on ne peut pas démanteler tout le dispositif. Enfin et surtout, cette question récurrente ne doit pas servir de rideau de fumée pour occulter nos retards sur les vrais sujets. Je ne voudrais pas qu'au moment où au sommet de l'État on se saisit enfin de la difficile question des discriminations, notamment celles qui résultent de la diversité du peuple français, on restreigne le sujet à l'éternelle figure de l'étranger ; ce serait trop commode.C'est un exemple des divergences entre vous et Louis Schweitzer, le président de la Halde ?Il n'y a aucune divergence. Sur de nombreux points, j'observe que Louis Schweitzer s'est plutôt rapproché de mes positions. Nous sommes tous deux du même côté de la ligne de front contre les discriminations.Le successeur de Louis Schweitzer devrait-il être issu d'une minorité ?Ce n'est pas une obligation. Mais je pense qu'on comprend mieux les discriminations lorsqu'on les a soi-même subies.Cette promotion de la diversité passe-t-elle par une réforme de notre système éducatif ?C'est la priorité. Il faut rendre notre école plus qualifiante pour favoriser l'accès des jeunes au premier emploi. Aujourd'hui, 700.000 jeunes quittent tous les ans l'école, plus de 100.000 d'entre eux sont sans qualification. Plus de 17 % de la jeunesse française quittent le système éducatif sans diplôme. Quel gâchis ! Après trente ans de plans divers et variés, nous savons que les réponses ponctuelles ne marchent pas. Nous devons opter pour des mesures globales et structurelles : porter la durée de la scolarité ou de la formation de 16 ans à 18 ans, diversifier les voies d'accès aux formations d'élite, en revalorisant par exemple les filières technologiques, valoriser l'excellence au-delà des seuls critères académiques en étant multisélectif?Concrètement, que proposez-vous ?Je propose de restructurer l'offre scolaire, notamment en revalorisant des lycées techniques nombreux dans les quartiers pour qu'ils aient le même statut que les lycées d'enseignement général pour l'accès à l'enseignement supérieur, afin de proposer des filières de la réussite à tous les jeunes. Dans la même idée, il est souhaitable que les bacheliers STI (sciences et techniques industrielles) ou STT (sciences et techniques tertiaires) puissent enfin vraiment accéder aux IUT, où les places sont occupées en quasi-totalité par les bacheliers S. La dyslexie, qui fait des ravages dans les quartiers prioritaires, doit être repérée dès le primaire, et je propose de créer des postes d'orthophonistes en nombre pour corriger les troubles du langage et accompagner les élèves de 6e et de 5e. Enfin, il faudrait organiser la mobilité des jeunes au collège pour brasser les populations.Le fameux « busing » américain?Effectivement : emmener chaque jour des élèves des « quartiers » étudier dans des établissements scolaires de centre-ville a donné des résultats encourageants. Dans ce cadre, je propose de spécialiser les collèges. Certains auraient des classes de 6e et de 5e, d'autres de 4e et de 3e. La plupart des recteurs sont prêts à tenter l'expérience. Par ailleurs, chaque établissement scolaire devrait pouvoir créer une association soutenue financièrement par l'état, les collectivités territoriales, par une ou plusieurs entreprises et les habitants d'un quartier afin de proposer des voyages, des stages? Les grandes écoles et universités doivent s'associer à des établissements de banlieue qui peuvent ainsi devenir des lieux d'instruction de haut niveau. Nous pouvons tout changer avec de telles initiatives.Et pour l'accès à l'emploi, que proposez-vous ?Je n'ai qu'un mot en tête : l'alternance. C'est par un enseignement comportant des séquences équilibrées à l'école et en entreprise que les jeunes pourront s'insérer correctement et durablement dans la vie professionnelle. Ma proposition est que les entreprises soient tenues d'employer en alternance un nombre d'étudiants correspondant à 5 % de leur effectif social.Les entreprises joueront le jeu ?On est en droit de s'attendre à ce que l'égalité de traitement y soit exemplaire. Si ce n'est pas le cas, il existe des dispositifs légaux et des tribunaux pour réprimer les discriminations. Plutôt au civil qu'au pénal d'ailleurs selon moi, pour des raisons d'efficacité et d'aménagement de la charge de la preuve, de sanctions financières, pour la publicité consécutive à la décision de justice. Ceci dit, on ne réglera pas les problèmes sociaux inhérents aux discriminations par la répression. Ce sont les processus de recrutement et de promotion qu'il faut réviser. Des entreprises françaises et leurs dirigeants ont déjà manifesté la volonté de changer les choses, elles ont aussi besoin d'outils et de soutien. Chacun doit comprendre l'intérêt d'intégrer des profils différents à tous les niveaux de l'entreprise, pour dynamiser les équipes, mais aussi attirer les talents où qu'ils soient : être plus inclusif, c'est aussi être plus attractif.Allez-vous reprendre les 21 propositions faites par Claude Bébéar, l'ancien patron d'Axa ?Certaines sont reprises dans mon programme, notamment pour l'égalité de traitement au sein des entreprises, et pas seulement par le CV anonyme. Mais, dans un autre registre, il faut aussi apprendre très tôt à tous les jeunes Français que notre pays s'est construit grâce à sa diversité, leur raconter l'histoire complète, leur dire que nos ancêtres n'étaient pas seulement des Gaulois. nYazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chance
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