Comment les « Ecureuils » ont exécuté Charles Milhaud

Dimanche 19 octobre, 15?h?40. Un conseil de surveillance extraordinaire de la Caisse Nationale des Caisses d'Épargne (CNCE), l'organe central de l'Écureuil, s'ouvre. Ses membres doivent statuer sur la perte de 751 millions que le groupe bancaire vient de subir dans des opérations de marché. La tension est palpable. Les patrons des caisses régionales sont sous la pression des pouvoirs publics. Ils attendent d'eux qu'ils sanctionnent sans ménagement leurs dirigeants et rassurent les épargnants sur la solidité des Caisses d'Épargne. Dans les banques locales, les clients manifestaient déjà leur inquiétude sous l'effet des rumeurs de fragilisation du groupe bancaire. Certains retirent leur argent, beaucoup d'argent. Dans le sud de la France, une caisse régionale a enregistré le retrait de plus de 50 millions d'euros en quinze jours. Il est urgent d'arrêter l'hémorragie.Charles Milhaud, président du directoire de l'Écureuil, garde son flegme légendaire. À 64 ans, dont plus de quarante au sein de l'Écureuil, il n'en est pas à sa première bataille. Il n'a pas ménagé sa peine ni les inimitiés, pour transformer le garant de l'épargne populaire en banque comme les autres. Cette fois encore, il pense avoir tous les atouts pour remporter ce nouveau combat.Charles Milhaud compte sur le soutien des barons régionaux de la banque. N'ont-ils pas voté à l'unanimité dix jours auparavant en faveur de la fusion avec les Banques Populaires?? Les Caisses ne peuvent se passer de lui pour mener à bien cette opération. C'est sans compter les frustrations accumulées par les patrons des banques régionales. À force de vouloir jouer dans la cour des grands réseaux bancaires de l'Hexagone, en se lançant dans des activités plus risquées comme la banque de financement et la promotion immobilière, Charles Milhaud s'est éloigné des siens. « Il ne nous cajolait plus », résume un patron de caisse.Figure tutélaire de l'Écureuil, Charles Milhaud incarne aujourd'hui à lui seul la chute du groupe bancaire. Les barons régionaux n'ont pas l'intention de partager cette responsabilité aux yeux de l'opinion. La veille, ils se sont réunis afin d'organiser la destitution de Charles Milhaud et celle de son dauphin, Nicolas Mérindol, le directeur général du groupe. Leurs remplaçants sont sélectionnés parmi les opposants les plus actifs au patron du groupe bancaire. Bernard Comolet, président du directoire de la Caisse d'Épargne Île-de-France, et Alain Lemaire, son homologue à la Caisse de Provence-Alpes-Côte d'Azur, hériteront respectivement de la présidence et de la direction générale du groupe bancaire.Ce « putsch » ne peut toutefois pas réussir sans le feu vert des pouvoirs publics. Charles Milhaud, fervent soutien de Nicolas Sarkozy, n'imagine pas un instant que le président de la République puisse le sacrifier. erreur tactiqueAveuglé par cette conviction, le patron de l'Écureuil perd définitivement tout sens tactique. Lorsqu'il rencontre samedi 18 octobre au matin Claude Guéant, secrétaire général de l'Élysée, il lui offre en guise de sacrifice le limogeage de Nicolas Mérindol et de Julien Carmona, membre du directoire en charge des finances et des risques. Erreur fatale?! Ce dernier est reconnu pour sa compétence par l'Élysée. Surtout, il est le seul au directoire à avoir la confiance de Bercy et de la Commission bancaire. Tout à son objectif de sauver sa peau, Charles Milhaud aggrave son cas. Au sortir de son entretien, il assure à qui veut l'entendre que ses lieutenants vont tomber à la demande des pouvoirs publics. Furieux, Claude Guéant le rappelle et lui demande de cesser ce manège.Quand le conseil de surveillance s'ouvre, le sort de Charles Milhaud est scellé. L'exposé de Jean-Christian Metz, inspecteur général de la CNCE, sur les détails de « l'incident » de marché conforte les barons régionaux. « Nous étions accablés par la série de dysfonctionnements dans la chaîne de contrôle », explique l'un deux. Lors d'une levée de séance à 16?h?30, ils valident à huis clos leur plan élaboré la veille. À 18?h?30, le conseil de surveillance vote à l'unanimité en faveur de la démission de Julien Carmona, Nicolas Mérindol et Charles Milhaud. Incrédule, ce dernier est le seul à refuser l'oukase. Il ne mesure toujours pas la détermination de ses opposants qui procèdent en début de soirée à la nomination de Bernard Comolet et d'Alain Lemaire à la tête de la CNCE. Vers 20?h?30, désespéré, Charles Milhaud tente de marchander son départ. Il accepte de démissionner en échange de deux ans de salaire. Cette exigence provoque l'ire du conseil. « Le laisser partir avec des indemnités aurait ruiné tout l'effet de notre décision », explique un responsable de caisse. Le conseil dans son ensemble engage donc une procédure de destitution de Charles Milhaud. Son avocat, François Sureau, et son directeur de cabinet, Thierry Gaubert, finissent par convaincre Charles Milhaud de rendre les armes, au risque de s'exposer à une campagne dévastatrice sur le thème des parachutes dorés. La mort dans l'âme, il dépose les armes et donne sa démission un peu avant 21 heures.
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