Jacques Chessex ou le Mal des montagnes

Prix Goncourt en 1973 pour « l'Ogre », Jacques Chessex est l'un des plus grands poètes et écrivains de la Suisse romande. Son ?uvre est marquée par son pays natal mais échappe au régionalisme aride par la beauté du style et l'ampleur des thèmes abordés. Récemment, il a publié « le Vampire de Ropraz » qui s'inspirait d'un fait divers macabre de 1903. Une autre histoire vraie est à l'origine de « Un Juif pour l'exemple », qui paraît aujourd'hui.Nous sommes à Payerne, la ville natale de Jacques Chessex, en 1942. L'Europe est à feu et à sang, mais le gros bourg de 5.000 habitants connaît une relative prospérité. « C'est loin, la guerre, pense-t-on communément à Payerne. C'est pour les autres. » Mais si les obus épargnent les habitants, les idées nazies se sont déjà répandues au sein de la population. Parmi les ouvriers au chômage ou les paysans ruinés, le mécontentement gronde. « La faute ? Les gros. Les nantis. Les Juifs et les francs-maçons. Ils savent assez se sucrer, surtout les Juifs, quand on ferme les usines. Il n'y a qu'à les voir prospérer, les Juifs, avec leurs bagnoles, leurs fourrures, leurs commerces à tentacules, et nous, les Suisses, on crève de faim. » L'air est connu. Ses conséquences aussi.quatre assassinsInspiré par le pasteur hitlérien Philippe Lugrin et le militant nazi Georges Oltramare, Fernand Ischi, un jeune garagiste local, « dévoré de haine, de volonté de revanche et de puissance », va passer à l'action. Il sera aidé par quatre autres personnes. Ensemble, ils décident de « choisir un Juif bien représentatif, bien coupable de crasseuse juiverie, et le liquider avec éclat ». Ce sera Arthur Bloch, un marchand de bétail.Jacques Chessex dresse un portrait rapide mais précis des différents protagonistes et décrit avec minutie l'enchaînement des faits. Un récit sobre, dont le lecteur connaît à l'avance l'issue dramatique, mais qui ménage pourtant un certain suspense. Les instants qui précèdent le meurtre présentent même un aspect comique, qui renforce l'absurdité du crime. Le récit fait ensuite place à l'horreur pure, et l'écrivain ne nous cache rien sur la façon dont les meurtriers se débarrassent du corps.une prièreFin de l'histoire ? Au contraire. Pour Jacques Chessex, elle ne faisait que commencer. C'est pourquoi il a écrit ce livre. « Je raconte une histoire immonde, et j'ai honte d'en écrire le moindre mot », dit-il. Pourtant, il a tenu à « sonder des circonstances qui n'ont pas cessé d'empoisonner [sa] mémoire et de [l]'entretenir, depuis tout ce temps, dans un déraisonnable sentiment de faute ». Mais il serait naïf de croire qu'écrire suffit à expier, à comprendre. L'histoire du meurtre d'Arthur Bloch, racontée par Jacques Chessex, n'a plus rien à voir avec un simple fait divers. Ni leçon, ni mise en garde, c'est plutôt une lamentation, une prière peut-être, face à l'absolu du Mal, qu'aucun exemple ne saura jamais vraiment expliquer, éclairer : « l'obscurité domine », conclut Chessex. n« Un Juif pour l'exemple », de Jacques Chessex, édition Grasset ? 104 pages, 11,90 euros.
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