odile esposito et audrey tonnelierLes lecteurs de « La Tribu...

Les lecteurs de « La Tribune » vous ont élu « Stratège de l'année » 2008. Comment comprenez-vous cette distinction ?J'en suis très honoré. Elle me fait d'autant plus plaisir qu'une des caractéristiques d'Air Liquide a toujours été de s'inscrire dans le long terme. Or, on ne peut bâtir un avenir à long terme sans se préoccuper de stratégie. Nous prenons des risques, mais nous essayons de les maîtriser. Et nous misons beaucoup sur l'innovation, puisque la société ne peut se développer que grâce à des innovations.Cette stratégie de long terme n'est-elle pas ébranlée par la crise ? Vous venez de réviser en baisse vos objectifs de chiffre d'affaires et de résultat net pour cette année?En matière de stratégie, il faut raisonner en termes d'objectifs mais aussi savoir s'adapter. Nous avions initié en 2007 et formalisé en 2008 un plan stratégique de moyen terme, le plan Alma, avec pour ambition de doubler de taille en sept ans. C'est un projet de croissance compétitive, qui comprend des objectifs de croissance, de réduction de coûts et de retour sur capitaux investis, mais aussi de transformation de l'entreprise. Nous avons tenu cette dynamique l'an dernier.La baisse d'activité constatée depuis le début de l'année s'est dégradée depuis la mi-février. Mi-mars, les niveaux de certaines activités ont été inférieurs à ceux de janvier, avec des baisses en volume allant jusqu'à 30 % pour les secteurs les plus touchés (sidérurgie, chimie, automobile, électronique). Notre présence dans des secteurs défensifs (raffinage, alimentation, pharmacie, etc.) nous a cependant permis de contenir la baisse de notre chiffre d'affaires à 3 % au premier trimestre.La situation nous conduit tout de même à ajuster nos objectifs pour 2009. Avec trois priorités : assurer notre financement en gérant au plus près nos liquidités, porter nos efforts de réduction de coûts à 300 millions d'euros cette année ? contre environ 200 millions par an à l'origine ? et poursuivre nos investissements, qui sont indispensables dans un métier aussi capitalistique que le nôtre, pour nourrir la croissance de demain.Vous décalez donc les objectifs initiaux du plan Alma ?Nous ne renonçons pas à nos objectifs de croissance à moyen terme, mais le délai pour les atteindre sera plus long. Il est encore trop tôt pour savoir quand et comment se fera la reprise. Nous en avons observé des signes en fin de trimestre, mais ils ne nous paraissent pas assez forts pour constituer une tendance. En revanche, nous sommes persuadés qu'une fois la crise passée, les exigences de nos clients en termes d'environnement, d'énergie, de santé reviendront sur le devant de la scène. Or, ce sont trois grands domaines sur lesquels nous construisons notre futur.Justement, quels sont vos paris stratégiques pour les années à venir ?Notre stratégie consiste à identifier quels seront les marchés de demain, les applications et les bénéfices pour le client. Dans la santé par exemple, et notamment dans les gaz thérapeutiques, il existe des molécules connues qui n'ont jamais été développées pour certaines applications. C'est le cas du xénon, que nous développons pour un usage en anesthésie, car il réduit les effets secondaires et protège le patient. Nous essayons aussi d'anticiper les grands enjeux de la planète. Nous réfléchissons ainsi à ce que seront les approvisionnements en énergie dans les vingt ans à venir : le pétrole sera-t-il toujours aussi important ? Le charbon aura-t-il fait son grand retour ? Quelle sera la place du solaire, des biocarburants ?Nous parlons aussi depuis plusieurs années de la voiture à hydrogène. Une première étape en termes de coûts, de technologie et d'accessibilité devrait intervenir en 2015. Le second horizon est 2020, où on peut s'attendre à un déploiement mondial. L'hydrogène en tant que vecteur d'énergie est un pari. On pense à la voiture individuelle, mais on peut imaginer que ces technologies propres se développent pour les professionnels, pour des flottes captives de bus par exemple, ou encore pour des applications stationnaires. Nous testons depuis deux ans en France avec Bouygues un projet de relais isolé de téléphonie alimenté par de l'hydrogène, dont la fiabilité est remarquable. Nous avons aussi pris la tête d'un groupement de recherche français doté d'un budget de 200 millions d'euros subventionné par Oséo, et financé pour plus de la moitié par Air Liquide. Enfin, dans le domaine du CO2, nous travaillons à réduire les émissions de nos clients et à favoriser la séquestration de ce gaz.Ces projets sont-ils dépendants de la variation des prix du pétrole ?Nous faisons le pari que le prix du pétrole restera entre 40 et 60 dollars. À ce niveau et au-dessus, et compte tenu des questions environnementales et de disponibilité des réserves, personne ne peut se permettre de faire l'économie de tels projets.Vous fourmillez de projets? On a pourtant le sentiment que, comparé à d'autres groupes, Air Liquide se transforme peu?Au contraire ! Le secteur des gaz industriels est déjà très concentré, il n'y a donc plus de grande acquisition possible. Mais cela ne nous empêche pas de rester en veille pour des opérations de quelques dizaines à quelques centaines de millions d'euros. Il s'agira d'investissements régionaux pour consolider notre présence mondiale.Nous avons déjà fait des choix géographiques. En Asie, nous avons choisi de parier davantage sur la Chine, dont le modèle industriel est très centralisé et efficace. Nous avons racheté l'ensemble des coentreprises où nous étions partie prenante dans le Sud-Est asiatique. De sorte qu'aujourd'hui, le Japon, où nous sommes présents depuis plus de cent ans, représente moins de la moitié de notre chiffre d'affaires de la zone, nous donnant un profil équilibré entre économies émergentes et matures.Notre second pari est le Moyen-Orient, où nous sommes présents au Qatar, à Oman, au Koweït? Nous avons enregistré une croissance au premier trimestre de 25 % pour la zone Moyen-Orient et Afrique, ce qui n'est pas négligeable en période de crise ! Enfin, en Europe, nous avons repris pied en Allemagne en rachetant en 2004 des activités de notre concurrent Messer ainsi que des activités de soins à domicile et les technologies de Lurgi en 2007.Dans le cadre des ajustements du plan Alma, envisagez-vous des réductions d'effectifs ?L'évolution naturelle de nos collaborateurs nous conduit à avoir un flux d'arrivées et de départs d'environ 5.000 personnes chaque année. Cela nous permet de procéder à des ajustements continus, pays par pays, activité par activité, sans annonce massive de suppressions de postes.Quel regard portez-vous sur les débats actuels concernant la rémunération des actionnaires et des dirigeants d'entreprise ?Sur le premier point, nous favorisons l'actionnariat à long terme, car cela est en phase avec notre stratégie. Depuis novembre, nous avons enregistré une hausse de près de 10 % de notre actionnariat individuel, passant de 380.000 à 410.000 actionnaires. Pour entretenir cet actionnariat, il nous semble indispensable de conserver notre politique de dividendes, qui consiste à aligner l'évolution du taux de distribution avec celle des résultats, en moyenne dans la durée. C'est pour cela qu'au titre de 2008, nous proposerons un dividende de 2,25 euros par action. Il est stable en facial mais, compte tenu de l'attribution d'actions gratuites l'an dernier (1 pour 10), cela représente une hausse de 10 % qui correspond à la croissance de notre bénéfice net 2008.Quant à la rémunération des dirigeants, tout débat mérite d'être posé mais, selon moi, ce n'est pas le c?ur du sujet. La question essentielle est de savoir comment on est arrivé à cette crise, de nature financière à l'origine, et de mettre tout en ?uvre pour en sortir. C'est ce que nous faisons au quotidien en tant que dirigeants de groupes mondiaux. Je pense que la période actuelle devrait être le bon moment pour tenter de réconcilier les citoyens avec l'entreprise pour bâtir le futur.
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