Après Hadopi, un « new deal » contenus-réseaux est souhaitable

En invalidant le 10 juin une partie du dispositif de la loi Hadopi, le Conseil constitutionnel relance le débat sur les moyens d'une lutte efficace contre le piratage et sur les possibilités d'assurer, dans un paysage numérique équilibré, une juste rémunération des contenus et de ceux qui concourent à leur production.Ainsi, certains suggèrent d'instituer un mécanisme de redistribution, des bénéficiaires de la révolution numérique vers ceux qu'elle met à mal. La directrice générale de « Libération », Nathalie Colin, propose de soumettre les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) à une taxe destinée à financer les supports d'information, étayée par un triple argument : en premier lieu, « la recherche d'actualités sur Internet génère un trafic considérable, qui génère de la publicité et qui génère de l'argent pour les fournisseurs d'accès » ; l'enjeu financier d'une telle taxe serait limité puisque le chiffre d'affaires annuel des FAI représente « 42 milliards d'euros, tandis que celui de la presse est d'environ 840 millions d'euros » ; la taxe destinée à financer l'audiovisuel public crée un précédent à prolonger.Séduisante, la formule se heurte cependant à certains écueils. D'abord, la généralisation progressive de l'accès à Internet (indirectement soulignée par le Conseil constitutionnel) reviendrait à transformer les FAI en collecteurs de taxe. Outre les considérations de simplicité et de transparence qui pourraient conduire à s'appuyer alors sur les véhicules fiscaux traditionnels, on sait surtout que l'institution de taxes affectées est difficilement compatible avec les règles de l'Union européenne ; le prélèvement de 0,9 % mis en place par la loi sur l'audiovisuel du 5 mars 2009 n'est d'ailleurs pas juridiquement affecté à France Télévisions, bien qu'imaginé par la Commission Copé pour contribuer à son financement.Au-delà de ces considérations juridiques, ce projet soulève des réserves quant à sa faisabilité financière. D'abord, sur le périmètre des bénéficiaires possibles : sites Internet de publications de presse ? Sites de radio et de Webradio d'information ? Ou, pour des raisons d'équité, ensemble des sites d'information opérant sur le Web ? Autrement dit, les sites Mediapart, Rue89 ou Électron Libre y seraient-ils éligibles comme « Le Monde », « Libération » ou « Le Figaro », quotidiens dont leurs animateurs respectifs sont issus ? Au final, on peine à imaginer l'enveloppe à prévoir pour soutenir de façon significative les bénéficiaires?La question du niveau de la taxe est à mettre en rapport avec le chiffre de 840 millions d'euros évoqué par Nathalie Colin concernant la seule presse écrite d'information. Celui-ci représente deux fois le produit attendu en année pleine du concours institué pour le financement de l'audiovisuel public? La multiplication des prélèvements rendrait plus délicat pour les opérateurs le financement d'infrastructures performantes facilitant la circulation des contenus, et singulièrement le passage au très haut débit : les investissements à réaliser par Free, Orange et SFR devraient approcher les 5 milliards d'euros dans les trois à cinq prochaines années?Ceci met également en évidence le caractère inéquitable de la proposition : mettre à contribution les fournisseurs d'accès qui contribuent déjà pour plus de 500 millions d'euros par an au financement de l'audiovisuel et du cinéma (redevances payées aux chaînes, contributions au Cosip, reversements à CanalSat, etc.), et exonérer les portails (Google, Yahoo ou encore MSN), pourtant les premiers bénéficiaires des reports d'investissement publicitaires provenant des médias traditionnels.Plutôt qu'une taxe qui orienterait vers une économie des contenus semi-administrée car payée par des opérateurs aux capacités d'investissements amputées, une nouvelle alliance entre éditeurs de contenus et opérateurs de réseaux nous semble possible, et souhaitable. Un certain nombre d'opérations (dès l'été 2007, par exemple : le lancement de Neuf Music avec Universal, les accords de « catch up » TV Orange-France Télévisions ou l'accès à un bouquet de télévision sur Internet pour les abonnés Free) témoignent que les opérateurs sont déjà des acteurs dynamiques de la monétisation des contenus et de l'écosystème de la création.L'enjeu est de préciser la proposition de création de valeur qui permettra d'aller plus loin demain : développement de la coopération autour des offres publicitaires et de la valorisation des audiences « cross médias », mutualisation de solutions de micropaiement permettant de faire rémunérer les contenus par l'internaute, mise à disposition de briques facilitant l'édition des contenus? Une perspective au final plus stimulante que la mise en place d'une nouvelle taxe.point de vue Philippe Bailly NPA Conseil
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