« Monsieur Yen » prend du galon

Eisuke Sakakibara, qui a gagné son surnom de « Monsieur Yen » pour avoir piloté la grande glissade du yen entre 1995 et l'hiver 96-97, a désormais son bâton de maréchal. Il sera nommé, le 15 juillet, vice-ministre des affaires internationales au ministère des Finances. Le plus haut grade dans l'administration japonaise. C'est en 1995 qu'il se fait, pour la première fois, connaître du grand public : tout juste promu directeur des affaires financières internationales au ministère des Finances (MoF), il réussit, à coup de petites phrases, d'annonces de mesures de déréglementation et d'interventions concertées avec ses homologues américains (il préfère parler de « connaissances ») à stopper la course folle du yen. Résultat : après avoir franchi au printemps le seuil symbolique des 80 yens pour un dollar, menaçant d'asphyxier les entreprises exportatrices, la devise japonaise entame une décrue qui atteindra 40 % en seize mois. Le yen est au plus bas depuis quatre ans, à 115 yens pour un dollar, menaçant de relancer une guerre commerciale virulente avec les Etats-Unis. Un homme écouté. En novembre dernier, Eisuke Sakakibara déclare donc que la correction est allée trop loin. Les investisseurs étrangers l'écoutent, une fois de plus. Un peu plus tard, il lâche, dans le quotidien économique Nihon Keizai Shimbun, que « la phase de correction du yen touche à sa fin, eu égard aux fondamentaux », que « le ministère des Finances n'envisage plus de pousser le yen à la baisse » et que « le gouvernement Hashimoto est déterminé à déréglementer l'économie ». L'impact est immédiat, les investisseurs vendent le billet vert. Le yen, qui avaient touché 127 yens pour un dollar fin avril, remonte, et fluctue depuis autour de 115 yens. L'archipel a évité l'affrontement direct avec Washington. Le vice-ministre pour les affaires internationales est l'un des trois postes les plus puissants au sein du plus puissant des ministères nippons. En théorie, le vice-ministre représente l'administration dans les négociations et conférences internationales. Qu'il s'agisse des questions fiscales, de l'aide aux pays en développement, des choix budgétaires, ou encore de la réglementation des marchés, il a son mot à dire dès lors que le Japon est impliqué. En fait, il se permettait déjà d'intervenir sur à peu près n'importe quel dossier, ce qui lui vaut de solides inimitiés parmi ses pairs. Car si Eisuke Sakakibara se targue d'être l'ami de grands financiers du monde, tel George Soros, il est peu apprécié dans son propre pays où l'on ne prise guère les individualités extraverties et au parcours original. Ainsi, au lieu d'opter pour la faculté de droit de Tokyo (d'où sortent la majorité des hauts fonctionnaires du MoF), il avait préféré le département d'économie. Franc-parler. Le franc-tireur s'était même avisé de vouloir quitter le prestigieux ministère des Finances au milieu des années 70 pour s'engager dans la politique aux côtés de jeunes dissidents du Parti libéral démocrate au pouvoir depuis la fin de la guerre. Il faudra le scandale Lockheed pour l'en dissuader. Mais Eisuke Sakakibara n'en a pas perdu son franc-parler. Exemple : en 1995, le magazine Shukan Bunshun avait rapporté qu'il avait traité, au cours d'un dîner, le Premier ministre d'« idiot », et affirmé que le Japon formerait une alliance avec la Chine, si les Etats-Unis maintenaient leurs pressions sur le Japon. Le calendrier du big bang. Mais c'est avec les deux livres qu'il a publiés en 1991 et 1993 que l'homme a suscité le plus d'intérêt. Dans le Japon au-delà du capitalisme et le Capitalisme à la japonaise en tant que forme de civilisation (traduits en anglais), il développe la thèse de la spécificité du Japon : le Japon n'est ni une économie capitaliste, ni une économie planifiée, mais un troisième système : il met l'accent sur la production et l'emploi et non la consommation et les profits comme aux Etats-Unis, et pourrait bien servir de modèle aux pays en développement. A l'époque, Sakakibara avait été critiqué comme symbole de la résistance de la bureaucratie aux réformes et à la déréglementation. Aujourd'hui, on lui attribue la rédaction du programme et du calendrier du big bang, ce vaste chantier qui vise à révolutionner la finance nippone lancé par le Premier ministre, Ryutaro Hashimoto. La promotion d'Eisuke Sakakibara serait ainsi le signe que la déréglementation dans l'archipel est définitivement sur les rails. Xavier Lambert, à Tokyo
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