Mont-Saint-Michel, la possibilité d'une île

Vieux serpent de mer, le "projet de rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel" va enfin entrer dans sa phase de réalisation concrète. Le premier coup de pioche est en effet annoncé pour le début du mois de mai et le dernier pour 2011. Objectif : rendre à ce site naturel et touristique exceptionnel aujourd'hui ensablé son caractère insulaire millénaire... Le sauvetage du Mont-Saint-Michel avait été déclaré d'utilité publique le 21 juillet 2003 par les préfets de la Manche (Basse-Normandie) et de l'Ille-et-Vilaine (Bretagne). Dans le sillage du feu vert donné par le ministre de l'Écologie et du Développement durable, le permis de construire pour le barrage sur le Couesnon devrait être signé par le préfet de la Manche d'un jour à l'autre. Les marchés pour la construction du barrage viennent d'être attribués aux groupements d'entreprises Quille-Mastellotto, CM Paimboeuf-Joseph Paris et Baudin Chateauneuf. Ce chantier pharaonique, qui devra tenir dans une enveloppe de 140 millions d'euros, va donc pouvoir commencer. Un véritable défi d'ingénierie hydraulique comme le territoire français n'en avait pas connu depuis longtemps... Aujourd'hui, le Mont-Saint-Michel n'est en effet entouré d'eau qu'aux marées de vives-eaux à forts coefficients (110-115), soit quelques jours dans l'année. L'objectif des grands travaux à venir est de faire revenir l'eau au pied du Mont environ 200 jours par an. Comme toutes les baies, celle du Mont-Saint-Michel est peu à peu comblée par les sédiments que la mer dépose à chaque marée. Or cette sédimentation naturelle, que l'on observe aussi dans la baie de Somme, a été accentuée par les interventions humaines (poldérisation, digue-route, parking sur les grèves, barrage sur le Couesnon équipé de portes à flots) qui ont diminué l'effet de "chasse" des rivières du Mont. Les sédiments qui s'accumulent au pied du rocher sont de plus en plus rapidement colonisés par la végétation, les "herbus". À brève échéance, le Mont menaçait de se trouver irrémédiablement accroché à la terre ferme. Alors que faire ? Écouter le bon sens fataliste d'une partie des habitants de la baie convaincus que la nature a toujours raison ? "Les sédiments qui ne se déposent pas ici se déposeront ailleurs", entend-on parfois. Ou encore : "Quoi que l'on fasse, on ne fera que différer le problème"... Relever le défi Sensibilisés depuis des années par les élus locaux, les services de l'État ont finalement décidé de relever le défi... Les pouvoirs publics ont décidé dès 1995 de réaliser, à l'échelle de la baie, un ensemble de travaux qui doivent redonner son caractère maritime au Mont. Ils ont confié au laboratoire Sogreah de Grenoble une étude hydraulique de la baie. Des essais sur modèles ont permis de dégager des solutions pour recréer autour du Mont un paysage maritime et mouvant. Il n'est pas question de "désensabler" les abords du Mont-Saint-Michel, mais de freiner l'envasement et de déblayer les sédiments qui s'accumulent autour du Mont. Le principe consiste à stocker l'eau à marée haute dans le Couesnon pour la lâcher progressivement ensuite, ce qui prolongera - artificiellement - l'effet de la marée. Le volet hydraulique comprend aussi le curage du lit du Couesnon des sédiments d'origine fluviale en vue d'un meilleur écoulement ainsi qu'une remise en eau de l'anse de Moidrey. Située à 4 km en amont du barrage du Couesnon, cette anse servira de réserve d'eau et sera l'objet d'un suivi environnemental particulier. Dans cette zone humide vit en effet un batracien protégé, le pélodyte ponctué appelé vulgairement "grenouille persillée" ! Le second volet du projet va consister à effacer une grande partie de la digue-route - construite à 1 mètre au-dessus des plus fortes marées - qui bute sur les remparts. Cette digue en terre ainsi que les parkings faisaient obstacle à la libre circulation de l'eau. Le dernier kilomètre de cette digue sera remplacé par un pont-passerelle sous lequel la mer pourra passer... de manière que la "possibilité d'une île" s'offre à nouveau au Mont-Saint-Michel. Le parcours d'approche des visiteurs a été complètement repensé. La traversée entre le parking et le Mont (3 km) se fera soit à pied, soit à bord de navettes de transport sur le pont-passerelle. Le maire du Mont-Saint-Michel, Patrick Gaulois, est convaincu que ce nouveau système ne sera pas vécu comme une contrainte par les visiteurs. "L'Américain de l'Arkansas se moque de laisser sa voiture à 3 kilomètres !" Jusqu'au coefficient de marée 95, l'entrée du Mont se fera comme aujourd'hui par la grande porte de l'Avancée. Jusqu'au coefficient 103, l'accès se fera par sa petite porte latérale. Quelques jours par an et pour une heure environ à chaque fois, les très fortes marées recouvriront le gué, assiégeant totalement les remparts. La symbolique du Mont-Saint-Michel sera alors pleinement rétablie. De 130 millions d'euros au départ, le projet de "rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel" a lentement dérivé à 220 millions d'euros. Trop cher. Le préfet de Basse-Normandie a rappelé que le souhait du Premier ministre était de faire entrer le projet "dans une enveloppe budgétaire de 140 millions d'euros". Ce projet devrait bénéficier de subventions du Feder et de l'Agence de l'eau qui sont encore "en cours de calage" (environ 20 millions d'euros). Le solde sera financé par l'État (60 %) et par les collectivités (40 %) que sont, dans l'ordre, les conseils régionaux de Basse-Normandie et Bretagne et les conseils généraux de la Manche et d'Ille-et-Vilaine. Pour "rentrer dans l'enveloppe", la mission (d'État) Mont-Saint-Michel et le syndicat mixte ont été contraints de réexaminer toutes les lignes du projet, dont la question de la navette de transport et du stationnement. Le projet initial visait une capacité de stationnement énorme (4.150 places de parking) destinée à répondre aux quelques jours de l'année où le Mont attire 3.000 visiteurs à l'heure. Par ailleurs, indique Claude Halbecq, vice-président du conseil général de la Manche, il fallait concevoir un appareil qui réponde à la triple contrainte du design, de la forte capacité et de la double motorisation (un moteur à chaque extrémité), car le ministère de l'Environnement interdisait, au départ, l'idée d'une plate-forme de retournement au pied du Mont. Ce matériel n'existant pas sur le marché, il aurait fallu se tourner vers un prototype, ce qui était à la fois risqué et cher. Finalement, le syndicat mixte s'est orienté vers un parking de taille plus modeste de 2.500 places et vers une navette plus ordinaire (un bus disposant d'un seul moteur) qui sera autorisée à faire demi-tour au pied du Mont. Enfin, le syndicat mixte a décidé de confier - par délégation de service public - la gestion du parking et de la navette de transport de voyageurs à une entreprise privée. La maîtrise d'ouvrage du projet de "rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel" a été confiée par l'État au conseil régional de Basse-Normandie, présidé depuis 2004 par Philippe Duron (PS). La région a créé un syndicat mixte (le syndicat mixte pour le rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel), qui à l'origine comportait le conseil régional de Basse-Normandie et le conseil général de la Manche et avait comme "partenaires financiers" le conseil régional de Bretagne et le conseil général d'Ille-et-Vilaine. Mais le 13 octobre 2005, les élus de la région Bretagne ont voulu changer le cours de l'histoire. À l'unanimité, ils ont approuvé l'adhésion de leur collectivité au syndicat mixte, rebaptisé syndicat de la Baie, ainsi que le principe d'une participation financière importante au projet. "Devoir historique" "L'élargissement du syndicat mixte à la Bretagne donne au projet la vision interrégionale qui lui manquait", observe Claire Montémont, responsable communication du projet. Une vision qui s'impose au regard de la géographie, puisque le Mont-Saint-Michel, tout normand qu'il est, se trouve aux confins des régions Bretagne et Basse-Normandie, deux régions séparées par le Couesnon. Jean-Yves Le Drian, président (PS) de la région Bretagne, n'hésite pas, pour sa part, à parler de "devoir historique" face à "l'ampleur de l'enjeu". C'est aussi, ajoute-t-il, "notre intérêt bien compris", car "la valorisation du Mont-Saint-Michel a des répercussions sur la Bretagne". Et d'évoquer "l'impact touristique immédiat, de voisinage et l'impact touristique d'image", tout ceci concourant à une "attractivité globale". Jean-François Le Grand, président UMP du conseil général de la Manche, résume la situation : "Le Couesnon continuera de nous séparer et le Mont-Saint-Michel de nous réunir." Claire Garnier, envoyée spéciale au Mont-Saint-Michel
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