La régulation aurait-elle permis d'éviter la crise ?

La crise que traverse en ce moment la finance était-elle évitable ? Et, si oui, la régulation était-elle le moyen qui aurait permis de l'éviter ? La réponse à ces deux questions est " oui ". La réglementation qui aurait pu prévenir la crise des subprimes proprement dite avait été votée en 1999 par l'État de Caroline du Nord pour mettre fin aux pratiques dites de " prêt rapace " (predatory lending). Si cette législation avait été étendue à l'ensemble des États américains, elle aurait empêché que n'éclate la crise des subprimes en février 2007. Le maintien du Glass-Steagall Act, datant de 1933 et abrogé en 1999, aurait empêché, lui, que la crise des subprimes ne dégénère en tarissement du crédit, comme ce fut le cas en août 2007, tarissement dont, après une brève accalmie en avril et en mai, les effets continuent de se faire sentir aujourd'hui.Mise en application en 1999, la loi " antiprêt rapace " de Caroline du Nord interdit l'ensemble des pratiques de vente et des formules de prêts hypothécaires qui furent à l'origine de la crise des subprimes. Son suivi au fil des années a mis en évidence que la loi a pleinement atteint son but : elle interdit l'allocation de prêts hypothécaires à des consommateurs incapables de rembourser les sommes empruntées et, ce faisant, elle prévient le développement d'une bulle. Les formules de prêts encourageant la spéculation sur l'immobilier résidentiel sont expressément bannies, ainsi que celles où le consommateur, en régime de " cavalerie ", finance ses traites en contractant de nouveaux emprunts.La loi de Caroline du Nord fut combattue sans succès par la Mortgage Bankers Association, l'association professionnelle des organismes de financement de crédit au logement. Elle survécut à cet assaut et c'est ce qui nous permet de savoir aujourd'hui qu'elle constituait bien la solution du problème. Le harcèlement par la Mortgage Bankers Association et par des lobbies apparentés dans les autres États empêcha cependant ceux-ci d'emboîter le pas à la Caroline du Nord.À la veille de 1929Bien que certaines règles comptables doivent également être incriminées (en particulier FASB 140, qui autorise la mise hors bilan dans les opérations de titrisation), une part considérable de la responsabilité du tarissement du crédit qui emboîta le pas à la crise des subprimes doit être attribuée à l'abrogation du Glass-Steagall Act, loi introduite en 1933 pour empêcher que ne se renouvellent certains des abus constatés à la veille du krach de 1929, quand les banques commerciales américaines puisèrent dans les dépôts de leurs clients pour se livrer à une spéculation débridée. Le Glass-Steagall Act imposa une séparation nette entre l'activité des banques commerciales : le dépôt et le prêt, et celle des banques d'affaires : l'investissement. Durant les années 1990, les Fire (" Finance, Insurance and Real Estate [immobilier] ") consacrèrent 200 millions de dollars à une campagne visant à l'abrogation de la loi, auxquels il faut ajouter les 150 millions de dollars qui furent versés comme contributions aux campagnes électorales des membres des commissions bancaires. La loi fut abrogée de fait en 1999 lors de son remplacement par le Gramm-Leach-Bliley Act.En 1987, lors d'une première tentative d'abrogation, Paul Volcker, alors président de la Fed, avait exprimé ses réserves, arguant que les banques investiraient les fonds de leurs déposants dans les titres boursiers et obligataires de firmes dont elles seraient par ailleurs les émettrices, relâcheraient les critères d'allocation du crédit pour accorder à ces firmes des prêts avantageux en vue de doper leurs titres, et se réserveraient les obligations de bon aloi tandis qu'elles revendraient au public les autres - pratique commune durant la période qui précéda l'application du Glass-Steagall Act.L'autorégulation, un mytheLes faits confirmèrent l'analyse de Volcker : les activités spéculatives reprirent de plus belle au sein des banques qui canalisèrent les fonds de leurs déposants vers les opérations potentiellement les plus rentables du fait de leur volatilité, autrement dit, les plus risquées. Seules les pertes cinglantes qu'elles subiraient sur les Asset Backed Securities (ABS) et sur les Collateralized Debt Obligations (CDO), adossées à des prêts immobiliers subprimes, y mettraient le holà.Les deux questions posées d'entrée, portant sur l'inévitabilité ou non de la crise que nous traversons en ce moment et sur la régulation comme remède, n'étaient pas innocentes : un postulat d'autorégulation des marchés les sous-tend. Or, laissés à eux-mêmes, ceux-ci ne tardent jamais à manifester leur tendance inhérente à l'excès. Espérons alors que le mythe de l'autorégulation ne se relève pas de la crise actuelle : tant qu'il y sera souscrit, la finance restera enfermée dans un balancement de pendule entre politiques excessives où les périodes de " laissez-faire " alternent avec les reprises en main musclées par l'État.
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