Électricité : pour un prix plus juste et plus durable

À l'heure où l'Europe doit faire face à un contexte économique difficile marqué par la crise énergétique, une croissance molle, un regain d'inflation, une devise forte et une compétition mondiale accrue, force est de constater que la libéralisation des marchés de l'énergie dans l'Union européenne n'a pas rempli ses objectifs initiaux. Pour ses promoteurs, la libéralisation serait un cadeau pour les consommateurs puisqu'elle ferait baisser les prix du fait de la concurrence.Mais en France, comme dans de nombreux pays européens, la dérégulation s'est accompagnée d'une flambée des prix de l'électricité, qui ont plus que triplé depuis 2003 sur le marché libre, suivant ainsi l'envolée des cours du brut. Aucune entreprise qui irrigue l'emploi dans notre pays n'est épargnée, alors que les bénéfices de nos grands fournisseurs d'énergie, ainsi que les dividendes de l'État actionnaire, ne cessent de croître. Dans le cas de la France, la contradiction est d'autant plus édifiante que nous disposons d'un parc nucléaire compétitif, investi sur des décennies précisément pour échapper à la dictature du prix du pétrole.Législation ambiguëPourtant, aujourd'hui, les Français payent l'électricité au prix du pétrole... cruelle ironie de l'histoire ! Force est de constater que le marché n'existe pas, et que la concurrence ne fonctionne pas. Face à ces incontestables dysfonctionnements de marché et à leurs graves conséquences sur la compétitivité de nos entreprises et, à terme, sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens, le législateur français s'est montré tout aussi ambigu que le gouvernement, alternant entre la course à la dérégulation du marché de l'énergie et le souci de limiter les dégâts pour les consommateurs.Ainsi, des brèches ont été temporairement colmatées par le Parlement, sans toutefois apporter les réponses de long terme aux enjeux énergétiques. Il en va ainsi de l'adoption du droit de retour au tarif réglementé pour les particuliers, adopté début 2008, qui permet le développement de la concurrence tout en protégeant le consommateur. Saluons aussi la prolongation, adoptée dans le cadre de la LME, du dispositif réglementé transitoire pour les entreprises ayant quitté le système des tarifs réglementés (" TaRTAM "), qui permet de limiter l'impact de la hausse des prix pour les entreprises tout en assurant une marge raisonnable au producteur historique. Néanmoins, ces mesures sont appelées à disparaître dès 2010, et nous aurons alors perdu tout contrôle sur les prix. Est-ce là ce que nous voulons ? Pour un bien aussi essentiel que l'énergie, le marché peut-il se contenter d'être un marché comme les autres ?La Commission européenne, très opposée aux tarifs réglementés, n'est pas non plus favorable à la mise en place de contrats à long terme, que les acteurs les plus électro-intensifs souhaitent voir se développer. Elle se focalise sur l'ouverture du marché et la mise en place d'un marché unique pour les différents pays, avec un prix de marché à l'échelle européenne, quels que soient les choix de politique énergétique nationaux. Il y a là une incohérence majeure dans la construction d'une Europe de l'énergie qui a occulté la production. Alors, que faire pour que cet acquis historique qu'est la production hydro-nucléaire puisse continuer à contribuer au développement économique de la France et profiter au consommateur ?Comment y associer les nécessaires efforts à mener en termes de développement durable, d'économies d'énergie, d'investissement puissant en faveur des énergies renouvelables et de développement d'un parc mixte nécessaire à la sécurité d'approvisionnement ? Une fausse bonne idée serait d'instaurer une nouvelle taxe pour prélever les profits colossaux que le producteur historique tirerait de la vente de toute sa production hydro-nucléaire aux prix de marché, taxe dont le produit serait ensuite distribué aux consommateurs.Cette solution semble facile mais ne résoudrait pas les problèmes. Outre qu'elle entérinerait définitivement les niveaux actuels des prix de marché, avec hausse de l'inflation et perte de compétitivité, il faudrait également trouver une solution équitable et " euro-compatible " pour redistribuer le produit de la taxe. Or, aucune redistribution ne sera aussi bien calibrée qu'une baisse des prix ! Alors soyons ambitieux. Développons un nouveau modèle de marché qui associe à la juste valorisation des actifs existants, le renouvellement et le développement des capacités de production d'énergie renouvelable et non carbonée - nucléaire et hydraulique - ainsi que les nécessaires mesures incitant aux économies d'énergie. Étudions ce qui s'est fait dans d'autres régions du monde, comme les États-Unis ou le Canada, qui, ayant ouvert leurs marchés de l'électricité avant l'Europe, ont rencontré les mêmes difficultés et ont su faire preuve de pragmatisme en développant des solutions adaptées aux contextes locaux. Nous sommes dans une logique de " prix moyen " de l'électricité, dont il nous faut sortir : plus il y a de périodes de pointe, plus on achète de l'électricité à l'extérieur - électricité issue de productions plus coûteuses et extrêmement polluantes, comme le charbon, le gaz, etc. -, et plus le prix moyen est tiré vers le haut.Pour une europe de l'énergieIl n'est pas impossible de croire que tout cela est d'ailleurs savamment organisé, malgré les alertes et les recommandations de la CRE. Il n'y a pas de martingale, de modèle d'organisation unique et d'ailleurs, les directives européennes sur l'ouverture du marché de l'énergie se sont bien gardées de définir un modèle de marché : nous avons là un espace de proposition qu'il nous faut exploiter, sans tabou, avec tous les acteurs économiques concernés pour assurer un développement économique durable. L'Europe de l'énergie est à construire en totalité, pour assurer la production, la sécurité d'approvisionnement et un marché régulé, certes en s'intéressant à la question des interconnexions entre les pays, mais sûrement pas en laissant les prix s'aligner sur l'électricité la plus chère et dont la production est la plus aléatoire ou la plus polluante. Non, l'Europe de l'énergie doit tout mettre en oeuvre pour concilier les exigences de la lutte contre l'effet de serre, et celles des nécessaires économies d'énergie, notamment dans les secteurs des transports et de l'habitat. Elle doit améliorer l'équilibre entre l'offre et la demande et renforcer les volumes produits à partir des filières vertueuses à l'égard de la lutte contre l'effet de serre.Les conclusions du sommet de Barcelone nous en donnent les moyens. La France a un rôle clef à jouer lors de sa présidence de l'Union européenne, le gouvernement doit sortir de son attentisme et opter pour une approche offensive à l'échelle européenne. C'est l'enjeu du colloque organisé par le groupe Énergies de l'Assemblée nationale, qui rassemblera, le 25 juin, politiques et acteurs économiques concernés. Gageons que nous réussirons à ouvrir une période de réflexion fructueuse pour la France, et pour l'Europe !
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