Zones périurbaines : 15 millions de Français délaissés

Le périurbain, c\'est moche et ça vote mal. Le périurbain ? Les 23 % à 24 % de Français habitant les communes à la périphérie des centres urbains. Ils ne peuvent ou ne veulent vivre dans le centre où ils travaillent : banlieusards, rurbains, exfiltrés de la ville, en tout cas des classes moyennes où à peine moyennes qui ne peuvent rien faire sans leur voiture ou sans TER.C\'est d\'ailleurs la définition de l\'Insee de la périurbanité : « Des communes sous influence urbaine du fait des déplacements domicile-travail. » Et ils sont plus de 15 millions à les habiter. Moche ? C\'est la fameuse une de Télérama sur « La France moche », en 2010. C\'est la France des lotissements, des échangeurs routiers, des zones commerciales et des ronds-points. Celle du rêve pavillonnaire, en friches ou pas. Ça vote mal ?Le Front national y a fait un tabac en 2012 ! ; les chercheurs en sciences politiques se penchent depuis sur toutes ces zones périphériques de plus de 200 000 habitants qui ont assuré le score de Marine Le Pen à l\'élection présidentielle et se préparent à perturber encore plus les prochaines municipales.Si elle était le sujet de réflexion de la 34e rencontre de la Fédération nationale des agences d\'urbanisme (qui s\'est tenue à Amiens les 11, 12 et 13 septembre), cette périurbanité n\'a jamais été vraiment pensée.Quelques élus commencent à se poser la question de savoir comment gouverner et développer ces territoires dont ils ne se sont guère occupés depuis les années 1960. Et, le débat parlementaire actuel sur la réforme territoriale l\'a montré à l\'envi, ils vont avoir beaucoup de mal.« Il faut comprendre que ces territoires n\'ont jamais été voulus par les pouvoirs publics. Ils n\'auraient pas dû exister et ne sont que la conséquence d\'un étalement urbain mal géré depuis le début des années 1960, explique le géographe Martin Vanier. Pis, les politiques et les pouvoirs publics n\'aiment pas ces territoires alors que les Français les désirent, car ils ont toujours autant envie de campagne urbaine et de pavillon. Des territoires mal aimés des pouvoirs et aimés des Français. »Cette attitude schizophrénique s\'explique d\'abord par le fait que ces territoires périurbains sont ressentis comme des territoires littéralement « contre nature ». Dans la nomenclature fleurie de l\'Insee, on les dit « territoires artificialisés », depuis que le bâti et les parkings y ont remplacé la nature.Des collectivités dans le désamour de soiAutre défaut rédhibitoire, ce sont des territoires de passage, de mobilité, de flux. Ils sont en transformation permanente et se moquent des frontières cadastrales ou politiques.« La croissance de la population y est constante, continue Martin Vanier. Entre 2 et 6 ou 7 % par an. Cela veut dire que, souvent, la population y double en dix ans ! ; les maires doivent donc affronter des électeurs qui changent constamment et dont les attentes ne sont plus forcément les mêmes d\'un mandat à l\'autre. »C\'est totalement perturbant pour des élus qui cherchent à être « propriétaires » de leur territoire à vie pour assurer leur carrière. Leur réaction la plus courante est fréquemment l\'inaction ou la seule préservation de ce qui doit être préservé.« Le maire devient alors un syndic de propriété gérant au mieux les intérêts des citoyens propriétaires, dont la principale préoccupation est le maintien de la valeur de leur propriété », explique un autre géographe, Philippe Estèbe.C\'est le fameux NIMBY (« Not In My Backyard », « Pas dans mon jardin », des zones résidentielles américaines) : l\'élu n\'a qu\'une mission, faire que rien ne soit construit qui trouble ses administrés. Chacun veut vivre comme dans la mythique Wisteria Lane de Desperate Housewives.Alain Juppé, chaque fois qu\'il explique la rénovation urbaine de Bordeaux, Bordeaux 2030, raconte à quel point le NIMBY est pesant : il a fallu dix-huit ans, selon lui, pour que les habitants de la Bastide, sur la rive droite de la Garonne, acceptent d\'avoir des voisins et comprennent enfin, avec la création du pont Jacques-Chaban-Delmas, que cela pouvait être bon pour eux et qu\'ils faisaient partie d\'une métropole !Jean Marc Offner, le directeur de l\'Agence d\'urbanisme bordelaise, prend l\'exemple du bassin d\'Arcachon-Val de Leyre : « Les habitants et les élus de ce bassin n\'aiment pas qu\'il soit considéré comme la banlieue de Bordeaux. Or, c\'est un déni de réalité : les Arcachonnais travaillent à Bordeaux durant la semaine et les Bordelais passent, eux, le week-end à Arcachon. »Le souci est que des territoires dans le déni, qui ne s\'acceptent pas, sont quasi impossibles à gouverner et à organiser. Le périurbain est une mosaïque de territoires dans le déni. La Gironde a ainsi une ville centre, Bordeaux, qui a du mal à se faire accepter, avec les petites communes du Medoc transformées en villages gaulois rêvant leur développement de manière autonome ; la communauté de communes autour d\'Arcachon, elle, ne s\'accepte pas comme territoire résidentiel ; la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) a du mal à parler à ses voisins - « c\'est l\'introversion congénitale de ces collectivités qui n\'ont pas été fabriquées pour le dialogue », sourit Jean Marc Offner - ou a des difficultés dans sa concertation interne : « La CUB, c\'est l\'addition de 27 égoïsmes municipaux », a ironisé un jour Noël Mamère, le maire de Bègles.Et avec des communes qui, s\'estimant autonomes, vont régler directement leurs problèmes à Paris, la concertation et la décision sur l\'aménagement et le développement n\'est clairement pas facile.Vincent Feltesse, président de la CUB, estime qu\'« il est urgent de trouver les voies de cette nouvelle gouvernance et d\'une nouvelle solidarité territoriale locale ».La Gironde, qui est un département totalement périurbain et qui n\'est pas, de loin, celui qui a la périurbanité la plus conflictuelle, a innové en mettant en place un nouvel outil : l\'InterScot (une idée du gouvernement), une structure souple qui fédère au niveau départemental l\'organisation territoriale (les Scot, schémas de cohérence territoriale), et qui essaie de mieux organiser l\'étalement urbain. Il y a encore des réticences, mais les Girondins avancent.Assumer l\'inégalité des territoires« L\'élu local ne sait généralement pas travailler sur des flux. Il travaille sur stock, développe Philippe Estèbe. Son stock c\'est le foncier. Il gère sa commune comme un mini-État alors qu\'il devrait la gérer comme une auberge. »Alain Faure, professeur à l\'IEP de Grenoble et blogueur sur « Les énigmes de l\'action politique locale », cite, lui, la récente proposition de Paul Giaccobi, le président du conseil exécutif de Corse, de réserver le foncier aux Corses : « C\'est l\'illustration parfaite de l\'illusion dans laquelle vivent les élus. Ils s\'imaginent qu\'en tenant le foncier, qu\'en restant seuls, ils ont plus de chances de s\'en tirer.Pourtant, c\'est exactement l\'inverse. Toutes les enquêtes montrent que c\'est dans l\'intercommunalité, dans la métropole que les petits sont les plus forts pour résister aux constructions anarchiques et au désordre urbain. Mais ils refusent de le comprendre. »Alain Faure travaille sur cet imaginaire qui empêche de penser l\'aménagement urbain : « Cette coupure mentale entre l\'urbain et la campagne n\'existe qu\'en France, ce blocage culturel nous est propre et l\'hyperviolence des maires lorsque l\'on touche à leurs compétences n\'existe pas ailleurs.Du coup, le sujet est tellement sensible qu\'il n\'y a pas, à droite comme à gauche, de véritable réflexion sur l\'organisation du territoire. Rien n\'est vraiment dit. Le texte de loi actuel, c\'est une métropolisation honteuse ; la métropole reste encore indicible, elle fait peur aux élus. »Et Alain Faure lâche ce que beaucoup des urbanistes, géographes et politistes réunis à Amiens pensent : « L\'égalité des territoires, c\'est un contresens absolu ! » Tant que les territoires n\'auront pas accepté leur inégalité, leurs différences, leurs spécificités, rien ne progressera et le périurbain continuera à croître plus ou moins anarchiquement.« La question c\'est d\'assumer l\'inégalité des territoires, dit Philippe Estèbe, la penser, créer des mécanismes de développement fondés sur cette inégalité. Il faut avoir le courage, lorsqu\'on est élu, de reconnaître là où l\'on peut être efficace et ce que l\'on doit abandonner. »Martin Vanier, qui travaille sur de nouvelles formes de gouvernance territoriale, estime lui que chaque territoire est un cas spécifique et peut presque avoir sa propre gouvernance, son propre processus de décision : « On n\'est pas obligé de tout bouleverser par la loi tous les trois ans, il faut être souple et, surtout dans le périurbain, déconstruire le discours politique. Il faut dire aux Français qu\'ils ont raison de préférer et de plébisciter les \"campagnes urbaines\", mais leur faire comprendre qu\'il y a un destin collectif dans le périurbain. »Urbanistes, géographes et économistes essaient de faire comprendre aux politiques que les territoires, ceux de la périurbanité en premier, n\'ont plus besoin de Grand soir institutionnel, mais d\'être acceptés.
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