« L'ouverture du régime chinois est inéluctable »

fareed Zakaria, rédacteur en chef de « Newsweek »Soixante ans après le 1er octobre 1949, la Chine est toujours communiste. Est-ce une surprise ?Au cours des trente dernières années, beaucoup d'experts ont annoncé la chute du régime chinois. Cela n'a pas été mon cas, et jusqu'à présent, les faits m'ont plutôt donné raison. En réalité, la Chine s'est donné une mission historique : celle de rattraper l'Occident. Et son développement est devenu un projet national. Tout le peuple chinois ? composé à 95 % de Hans ? est concentré sur cet objectif : c'était déjà visible lors des Jeux olympiques de 2008. À l'époque, beaucoup ont crié à la propagande communiste, alors qu'il s'agissait en fait d'une célébration nationale. Il faut avoir en mémoire toutes les horreurs que la Chine a connues depuis cent ans ? guerres, conflits civils, révolution, etc. ? pour comprendre à quel point la période actuelle de stabilité et de croissance est historique.Mais le pays va-t-il connaître indéfiniment une croissance à presque deux chiffres ?Je ne crois pas, car un tel rythme n'est pas soutenable. Le Japon, qui avait connu une forte croissance pendant vingt-cinq ans, avait ensuite vu son économie ralentir. Même constat en Corée. Pékin n'échappera pas à cette règle. La question clé concerne donc le régime politique : peut-il durer, et supporter des changements économiques et sociaux aussi extraordinaires ? Mon sentiment est que, à long terme, il est impossible de combiner l'émergence d'une classe moyenne et le maintien d'un système politique fondé sur le léninisme.Alors comment envisagez-vous l'évolution du régime ?Il y aura à coup sûr un changement politique. Déjà, quand vous vous promenez en Chine, vous pouvez voir que les gens sont plus libres. J'ai eu l'occasion de discuter avec des universitaires chinois : ils n'hésitent pas à mettre en question le régime. Mais ce ne sont pas des révolutionnaires, ils souhaitent simplement des évolutions. Ils veulent voir le système changer, mais selon un processus lent. Le futur de la Chine pourrait donc ressembler à l'évolution qu'ont connue différents pays asiatiques, à l'instar de la Corée du Sud ou Taiwan. Le régime chinois pourrait se doter d'un système pluraliste, au sein du Parti communiste. Celui-ci deviendrait plus ouvert, permettant l'apparition de factions. Mais attention, il ne s'agirait pas d'une démocratie, au sens occidental du terme.Le régime communiste a longtemps fondé une partie de sa légitimité sur sa capacité à assurer la croissance économique. Que se passera-t-il le jour où celle-ci s'épuisera ?Elle va nécessairement ralentir, et ce changement s'accompagnera d'une évolution politique, qu'il ne faut pas confondre avec l'écroulement du régime. Nous serons plus dans un scénario de transition à la coréenne qu'à la polonaise. En Occident, nous avons tous en mémoire cette date charnière de 1989, qui porte la marque des bouleversements politiques en Europe de l'Est. Mais 1989 a été un moment unique dans l'histoire. Et imaginer que tous les régimes fermés pourraient un jour connaître ce même type d'expérience est une erreur : il y a plus de chances de voir la Chine emprunter une voie asiatique, basée sur des valeurs d'ordre, de hiérarchie et d'autorité. Les Chinois regardent, par exemple, de très près ce qui s'est passé à Singapour, où l'on pratique des élections libres, mais où le principal parti continue de rassembler 90 % des suffrages. Ils s'interrogent sur la meilleure façon d'ouvrir leur régime, tout en voulant en garder le contrôle.Propos recueillis par Éric Chol« L'Empire américain, l'heure du partage », de Fareed Zakaria, préface d'Hubert Védrine. Éditions Saint-Simon.« Les Chinois ne sont pas des révolutionnaires, ils souhaitent simplement des évolutions. »
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