« Je veux montrer que la méritocratie existe »

STRONG>Qu'inspire à la banquière que vous êtes la contestation qui monte partout en Europe ?Les tensions sociales ont effectivement crû fortement. Et cela vaut notamment pour la France. J'y vois au moins une raison : jamais dans l'histoire économique de notre pays, nous n'avions eu à faire face à un chômage qui peut paraître incompressible. Or, aujourd'hui, la croissance économique n'entraîne plus mécaniquement une baisse du nombre des demandeurs d'emploi. Ce taux de chômage proche de 10 % que connaît notamment la France risque de se stabiliser à ce niveau. Il y a donc de quoi s'inquiéter. Surtout quand vous n'avez à la fois pas de marge de manoeuvre budgétaire pour traiter ce chômage, moins de confiance dans le pacte social et des politiques qui, en période électorale, risquent d'être dans le discours au détriment du fond.À plusieurs reprises, des rumeurs vous donnaient parmi les personnalités de la société civile susceptibles d'entrer au gouvernement.À mes yeux, la politique n'est qu'un moyen d'affirmer son engagement sociétal. Et je ne suis pas sûre, aujourd'hui, que devenir ministre soit le meilleur moyen d'y parvenir. La dureté du discours politique me gêne. Ses accommodements avec la réalité aussi. J'ai toujours été soucieuse de rester dans la réalité. Néanmoins, la chose publique m'intéresse et deux sujets fondamentaux me passionnent : l'éducation et l'ouverture culturelle. Si je pouvais les mettre en pratique au plan politique, je serais tentée de sauter le pas. Pour le moment, je m'implique en agissant concrètement dans des « think tanks » et des institutions culturelles comme le Théâtre des Bouffes-du-Nord, un théâtre pointu, mais dont la billetterie est la moins chère de Paris. Je suis profondément franco-marocaine. Et à ce titre, j'ai à faire savoir que l'on peut être issu du Maghreb et devenir banquier d'affaires. On peut parler sans accent, être libre de sa parole... J'ai envie de m'engager pour montrer que la méritocratie existe dans ce pays. Je veux que ceux qui vivent dans les quartiers puissent avoir confiance dans leur capacité à, eux aussi, y arriver. Là où je suis, j'ai un « pouvoir » d'influence que j'ai le devoir d'utiliser pour oeuvrer en faveur de l'intégration. J'y ai mis de l'argent, j'y mets du temps. J'ai des convictions fortes et j'agis.Mais le débat politique est important pour agir ?Je suis fondamentalement un entrepreneur, une femme d'entreprise : Oddo Corporate Finance me correspond pleinement. Il faudrait que la politique donne réellement les moyens de mettre en oeuvre des projets pour que ma position évolue, parce qu'alors j'aurais les manettes dont je ne dispose pas aujourd'hui pour aller bien plus loin que je ne peux le faire aujourd'hui.Que pensez-vous des programmes économiques qui ont déjà été présentés par les différents partis pour l'élection présidentielle ?Même si j'ai de réelles convictions politiques, vous ne m'entraînerez pas sur ce terrain. La seule chose que j'ai envie de dire, c'est que la mondialisation a fondamentalement changé la donne politique. Tant que les informations ne circulaient pas, que le monde était cloisonné avec des portes suffisamment étanches, l'existence de fortes inégalités était, d'une certaine façon, supportable. Mais la mondialisation économique est allée de pair avec celle des idées, et désormais, ce n'est plus le cas. Et en tant que franco-marocaine, je suis encore plus choquée par les inégalités. J'ai une exploitation agricole à côté de Marrakech. J'essaie de bien payer mes ouvriers - 300 euros par mois. Je sais qu'ils surfent sur Internet, qu'ils voient comment on vit dans les pays riches et même chez eux. Que croyez-vous qu'ils se disent lorsqu'ils voient un sac de luxe à l'hôtel Mamounia qui coûte l'équivalent de dix mois de leur salaire ?Que vous inspire l'attentat de Marrakech ?Une violence insupportable, une provocation faite au Maroc, aux Marocains, au processus de démocratisation dans laquelle il ne faut surtout pas tomber. C'est une horreur dans tous les sens du terme.Le vent de liberté va-t-il continuer à souffler dans le monde arabe ?Les situations sont très différentes d'un pays à l'autre. En Tunisie, la révolution s'est faite de façon relativement douce par rapport à ce qui s'est produit au Yémen. En Libye et en Syrie, le pouvoir en place n'hésite pas à recourir à une répression sanglante. Mais en revanche, contrairement à ce que les gouvernements occidentaux redoutaient, partout il s'agit d'un mouvement de révolte qui vient du peuple, des étudiants et non d'une quelconque mouvance islamiste ou organisée. Et - c'est là que cela devient intéressant -, les jeunes qui se soulèvent contre les dictatures ne cherchent pas pour autant leur inspiration en Europe. Le modèle démocratique européen, ils n'en veulent pas. Ils souhaitent réinventer quelque chose.Vous avez pris la tête d'Oddo Corporate Finance il y a plus de deux ans. L'heure d'un premier bilan...À mon arrivée, j'ai établi deux grandes priorités. D'abord, je souhaitais mettre en place une organisation « industrielle », plus structurée. C'était indispensable. En deux ans, le visage de notre activité a été profondément modifié. Nous sommes devenus une vraie maison de « corporate finance » et non plus une boutique. Notre chiffre d'affaires a progressé de 60 % et nous avons triplé notre rentabilité.La seconde priorité a été de développer Oddo CF sur trois axes forts : les deals « CAC 40 », les opérations apportant une forte visibilité et l'international. Ces trois défis ont été relevés avec succès. Cette année, nous avons travaillé pour Casino au Vietnam, pour Lagardèrerave;re et pour Natixis lors de la cession de ses activités de capital-investissement à Axa Private Equity. Ensuite, nous sommes parvenus à obtenir des mandats sur des « deals » très visibles : les meilleurs exemples de l'année ont été la vente de Geoservices à Schlumberger et le refinancement de la Compagnie des Alpes. Sans oublier notre présence aux côtés de Bel lors de la vente de Yoplait par PAI Partners et Sodiaal. Enfin, sur le plan international, Oddo CF a su prendre position sur des transactions où il n'était pas attendu, comme conseil de France Télécome;lécom pour son rachat de Méditel. 2010 a été une année historique avec 53 mandats et 6 transactions dépassant 500 millions d'euros.Quels sont les atouts de votre maison par rapport à vos concurrents ?Notre principale force est la richesse de notre offre. Nous avons développé une plate-forme de conseil sur les marchés de capitaux où nous sommes conseil en financement bancaire, obligataire et notation, ainsi que pour les introductions en Bourse et les augmentations de capital. Nous sommes évidemment aussi conseil en fusions-acquisitions. Et nous disposons même d'une salle des marchés qui nous permet d'offrir à nos clients des services de gestion de leur contrat de liquidités, de rachat d'actions ou toute autre opération de marché. Sans compter l'appui du bureau de recherche d'Oddo&Cie, qui nous permet de mener des opérations avec plus « d'intelligence » sur les entreprises et leur secteur. En somme, nous ne sommes pas très nombreux mais nous possédons une plate-forme complète de « corporate finance ». C'est important de ne pas se limiter à du pur conseil en fusions et acquisitions. Fatine Layt, présidente d'Oddo Corporate Finance
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