Cette école où l'on n'apprend plus rien

Alors que 6,6 millions d'élèves entrent aujourd'hui à l'école primaire, l'excitation des premiers jours risque de vite laisser place au doute, et pour tout dire à l'inquiétude. Du moins chez les parents qui, après les nombreux rapports publiés sur le sujet, ne peuvent plus ignorer que, en France, l'école n'assure plus les apprentissages fondamentaux. Selon l'enquête internationale PISA menée en 2006 par l'OCDE, 21,7 % des élèves de 15 ans ont, dans l'Hexagone, d'importantes difficultés de lecture, contre 15 % en 2000. Ce qui place la France au 17e rang des 30 pays étudiés. Et il se murmure que les résultats de l'édition 2009 seront encore plus mauvais. Or c'est au primaire que se nouent les difficultés futures?: en 2007, près de 15 % des élèves du CM2 ne maîtrisaient pas les compétences de base en français, et près de 11 % en mathématiques. L'évaluation de la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance) au ministère de l'Éducation nationale réalisée en 2008 est encore plus sévère?: elle concluait que... 41 % des élèves de CM2 n'ont pas le niveau requis en mathématiques. Et ça va de mal en pis?: en lecture, 20 % des élèves de 2007 ont le niveau des 10 % les plus faibles en 1987. C'est dire si le « mal apprendre » s'étend. Et ce, malgré un meilleur encadrement?: entre 1980 et 2008, le nombre moyen d'élèves par classe du CP au CM2, est passé de 23,6 à 22,6 élèves.Que s'est-il donc passé?? Les rapports ont tous pointé des journées surchargées dues à une année scolaire trop courte (35 semaines contre 38 pour l'OCDE). D'autant qu'avec la semaine de quatre jours, il ne reste plus que 144 jours d'enseignement, contre 185 jours en moyenne en Europe. Des classes de primaire plus nombreuses de 23 % à la moyenne OCDE, sous la tutelle de maîtres moins bien rémunérés que leurs pairs malgré un temps d'enseignement plus élevé. Des directeurs d'école sans pouvoir hiérarchique sur les enseignants. Une évaluation des élèves tournée vers la sanction, et les remarques négatives plus que sur leurs points forts. Enfin, des maîtres qui s'intéressent davantage aux meilleurs qu'à ceux qui peinent. Il en ressort une école où l'on ne sait pas traiter les enfants en grande difficulté scolaire, dont la proportion est deux fois plus importante que dans les pays les plus performants aux tests internationaux.Tout cela est connu. Mais il y a une question qui, bien que centrale, n'est curieusement abordée par aucun rapport?: « La vraie cause de tout cela, analyse l'instituteur Marc Le Bris, c'est l'évolution des programmes, modifiés dans leur contenu comme dans leurs méthodes pédagogiques. » Fondamentalement, ajoute le professeur de mathématiques, Michel Delord, « l'introduction des mathématiques modernes, de la linguistique et de l'histoire non chronologique dès le primaire, alors qu'elles relèvent de l'aboutissement d'une démarche, a rompu avec la progression des apprentissages qui prévalait depuis Jules Ferry. » Jusque dans les années 1970, on apprenait dès le CP à lire couramment, et à faire les quatre opérations. À partir de la création des cycles, en 1989, par le ministre de l'Éducation Lionel Jospin, et surtout des nouveaux programmes de 1995-1996, on n'exige plus que la maîtrise de la lecture et l'addition à la fin du CE1. La soustraction doit être apprise en CE2, la multiplication en CM1 et la division, en CM2, et encore sur des petits nombres. Les unités de circonférence et de volume disparaissent des programmes du primaire. En 2002, les nouveaux programmes de Jack Lang vont encore plus loin dans l'appauvrissement?: la multiplication comme la division à deux chiffres comme celles des nombres décimaux ne sont plus apprises qu'en 6e. « Même pour la multiplication et la division des nombres entiers, les programmes de 6e sont inférieurs au niveau CE2 d'avant 1970 », dit le professeur Michel Delord. Résultat?: en 1995, 61 % des élèves de CM2 ne parvenaient pas à résoudre les problèmes proposés au certificat d'études de 1925, que 61 % des élèves avaient alors réussi. Qu'en serait-il aujourd'hui??En grammaire et conjugaison aussi, on repousse au collège les notions que l'on apprenait en primaire. Après la suppression, en 1995, des compléments circonstanciels, des conjonctions, des pronoms interrogatifs, on supprime en 2002 l'étude des phrases juxtaposées, coordonnées ou subordonnées. La grammaire n'est plus considérée comme un instrument indispensable à la maîtrise de la langue. Et les exigences d'orthographe se réduisent à l'accord sujet-verbe ou à l'accord d'un groupe nominal, et à distinguer les homophones grammaticaux. En conjugaison, on ne mémorise plus les terminaisons de l'indicatif, de l'impératif et du subjonctif, on « observe les variations qui affectent les verbes » (sic). Il faut dire qu'en français, on est passé en CP, de 15 heures par semaine en 1967 à 9 heures en 2002.Dans les méthodes aussi, les ravages sont profonds. On bannit les exercices systématiques qui créent des automatismes, et qui apprennent à apprendre. Au nom du « libre exercice de l'intelligence » et de « l'investigation raisonnée », on n'apprend plus par coeur, mais on « dégage » des règles, comme si les enfants, mis au centre, étaient dès le plus jeune âge capables de reconstruire des siècles de connaissances. « Cette vision pédagogique repose sur une méconnaissance profonde des enfants », explique Marc Le Bris. Et sur un déplacement de la mission de l'école, de l'instruction vers l'éducation, dans une acception politique si large que les connaissances en ressortent diluées.Dans les nouveaux programmes de 2008, le ministre Xavier Darcos restaure l'instruction, la mémorisation et l'acquisition de mécanismes. Il réintroduit la grammaire, les formes conjuguées, les accords en genre et en nombre. Il remet, dès le CP, la soustraction et la multiplication dans les programmes, en les utilisant dans la résolution de problèmes portant sur les longueurs, les durées, les masses et les prix. Les quatre opérations sur les nombres entiers comme sur les nombres décimaux devront être maîtrisées à la fin CM2. Avec des programmes mieux définis, il peut instaurer la liberté pédagogique des enseignants qui leur permet de s'adapter aux élèves, même si elle est limitée par un conseil pédagogique. L'inspection des maîtres est recentrée sur l'évaluation de leurs élèves, pour les inciter à relever le niveau. Enfin, il crée des études dirigées dans les écoles situées en zone d'éducation prioritaire. Mais ce n'est pas avant juin 2013 que l'on verra les premiers résultats de ces nouveaux programmes, qui bénéficieront aux générations nées à partir de 2002. Et ce, si les enseignants eux-mêmes formés après 1970 se forment à ces « bonnes vieilles » méthodes d'enseignement...Valérie Segond Retrouvez la version longue de cette enquête sur latribune.fr
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