Dettes des Gipsi : une crise économique, pas financière

Dans le film « Un jour sans fin », le personnage principal est condamné à revivre en boucle la même désastreuse journée, jusqu'à ce qu'il change radicalement d'attitude. Ainsi sont les gouvernements européens. Toutes les semaines, ils revivent la même séquence. Dimanche : annonce d'un accord ultime et définitif pour régler le problème de dette publique. Lundi : les marchés financiers saluent timidement l'accord. Mardi : l'inquiétude sur les perspectives de remboursement reprend. Semaine après semaine, la fièvre s'étend de malade en malade. Le thermomètre de ces inquiétudes est simple : c'est le surplus de taux d'intérêt que payent les pays attaqués : Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie, les Gipsi, plutôt que les Piigs (cochons) par rapport au pays de référence, l'Allemagne. L'écart est de plus de 9 % pour la Grèce, de 6,5 % pour l'Irlande, et il monte vite et dangereusement pour les autres.Pour sortir de cette répétition infernale, ne faudrait-il pas radicalement changer d'attitude ? Jusqu'à présent les gouvernements européens ont cherché une solution financière au problème, en pensant que son origine était financière : tricheries comptables de la Grèce, turpitudes bancaires irlandaises.On utilise deux ratios statistiques pour juger de la santé des finances publiques : le déficit en % du PIB et la dette en % du PIB. Et les gouvernements jusqu'à présent ne songent qu'à manipuler les numérateurs : en proposant des politiques d'austérité pour réduire les déficits et en envisageant de plus en plus sérieusement une réduction de la dette par restructuration (euphémisme pour désigner une faillite).Mais n'est-ce pas là confondre les causes et les conséquences ? Ces pays sont en crise financière parce qu'ils sont en crise économique. Leur situation financière s'est brutalement dégradée parce qu'ils traversent une crise économique profonde - plus profonde que celle des autres pays de la zone euro, pour trois raisons communes : 1. Leur compétitivité extérieure est plus dégradée que celle de la moyenne de la zone euro ; 2. Leur demande interne s'est effondrée plus vite qu'ailleurs (parfois par leur propre faute, comme en Irlande) ; 3. Ils subissent une politique de taux d'intérêt et de taux de change qui leur est inadaptée, leur poids dans les décisions de politique macroéconomique de la zone euro, en particulier celles de la BCE, étant minoritaire. Ainsi la Grèce est plus sensible que l'Allemagne à la faiblesse du dollar par la nature même de son commerce extérieur, sectorielle et géographique. Ou l'Irlande à la faiblesse de la livre, qui a dévalué de 25 % depuis le début de la crise mondiale, alors que le Royaume-Uni représente 30 % des importations irlandaises.Les marchés, contrairement aux gouvernements européens, ont une vision dynamique des ratios dette-PIB et déficit-PIB et de la solvabilité des États à moyen terme. Il leur importe surtout que le dénominateur (le PIB) retrouve une croissance rapide et durable (de l'activité et des prix). Mais l'ajustement brutal des numérateurs (déficits ou dette) semble éloigner du but. L'austérité irlandaise, dont la BCE vantait les mérites ce printemps, vient de faire long feu. Faudra-t-il aller jusqu'à la faillite de la Grèce (« Pas avant 2013 », nous disent les gouvernements ; « donc dès 2013 », comprennent les marchés) pour mesurer l'inanité d'une politique de restructuration des dettes ? Ou bien l'exemple de Lehman Brothers peut-il suffire à faire comprendre que les considérations morales rétrospectives (punir les comportements financiers hasardeux) sont mauvaises conseillères en cas de crise systémique ? Une fois la faillite déclarée, il n'y aura pas moins, mais plus encore de problèmes à résoudre : les problèmes économiques demeurant, la contagion financière s'amplifiant.La BCE et les gouvernements européens doivent opérer une révolution copernicienne : résoudre d'abord la crise économique, ensuite la crise financière. Pour cela, la palette des instruments est connue : baisse supplémentaire des taux d'intérêt et politique massive d'achat de dette publique par la BCE, baisse du taux de change, redistribution des revenus pour faire progresser la consommation face à l'épargne. En Europe, ces solutions semblent relever d'un dangereux extrémisme économique. Aux États-Unis, dans le cadre d'un débat ouvert, elles ont été identifiées comme les moins mauvaises possibles. Avec succès : les États-Unis ont retrouvé leur niveau d'activité d'avant la crise. La zone euro est encore 3 % en dessous...Par Philippe Brossard Président de Macrorama
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