Construire une richesse collective

Il vient de sortir dans quelques salles en France mais il ne fera sans doute guère de bruit. Et pourtant il mériterait tambours et trompettes. Car le documentaire « Indices » réalisé par Vincent Glenn s'attaque à un sujet hautement concernant : la richesse ! Et s'y introduit par la grande équation économique de notre temps selon laquelle la croissance c'est l'augmentation du PIB. Quatre-vingt-une minutes pour démontrer toute l'inanité de cet indicateur que l'on continue à relayer pour preuve de notre santé économique. Évidemment, l'idée n'est pas tout à fait neuve. Le professeur Joseph E. Stiglitz y a déjà planté ses crocs et l'a dépecée dans la commission du même nom. Le documentaire débute d'ailleurs par la remise officielle du rapport Stiglitz. Mais s'amuse à nous montrer et démontrer avec pertinence combien le PIB, au lieu de nous fournir des repères pour l'action et les projets, nous sert d'évaluation aux relents manichéens et masque les problématiques humaines et environnementales. Ainsi du naufrage de l'« Erika », catastrophe qui aura fait bondir le PIB.Dans cette remise en cause, il y a deux, voire trois sujets en un : celui du bien-fondé des outils de mesure unanimement tournés vers le profit, mais aussi celui de la logique productiviste qui oblige à soulever la question de l'après-société de consommation. S'interroger sur la logique de production c'est regarder l'économie autrement et rechercher des résultats en termes écologiques et humains, comme le montre le hors-série d' « Alternatives économiques », « La Richesse autrement », qui accompagne la sortie du documentaire. La crise économique, en amplifiant les déséquilibres, en fait une question urgente. Et avec elle l'espoir d'un monde nouveau. À l'heure où exhiber sa puissance se résume encore à montrer des accroissements, où notre production épuise la planète et les hommes, tout se passe comme s'il fallait encore produire plus, et plus vite. Les politiques comme les économistes sont bien conscients que ce PIB, centre de gravité de l'économie, se fissure de toutes parts. Mais obnubilés par la question de l'équilibre financier, « les politiques ne sont pas portés par un grand mouvement qui les inciterait à inventer autre chose », constate Claude Alphandéry, chantre de l'économie sociale et solidaire, pour qui « la pression idéologique est encore suffisamment forte pour que l'opinion ne parvienne pas à s'attaquer à ce système. Les classes moyennes se laissent convaincre qu'il n'y a pas d'autre solution que de continuer à vivre, consommer et produire de la même façon ».Alors ? C'est sur le terrain, auprès des individus qui mènent des activités sans existence monétaire ni perspective de profit que l'on va désormais trouver ce que richesse veut dire. Car il y a des éléments de prospérité qui ne se mesurent pas en espèces sonnantes et trébuchantes et restent essentiels à notre qualité de vie. En témoigne le PID (produit intérieur doux) inventé au Québec et passé inaperçu car né trop tôt. En 1999, le Carrefour des savoirs sur les finances publiques réalise qu'une partie seulement de la production de richesse donne lieu à des échanges monétaires et que seule cette partie est comptabilisée. Le groupe propose alors de compléter le PIB par un PID, prenant en compte toutes les contributions, non monétaires, non monnayées et/ou non monnayables qui participent à la richesse humaine et collective. Et y classe les activités de la vie courante. La prise en charge d'un malade à l'hôpital va dans le PIB, en prendre soin à la maison va dans le PID. Une majorité de la richesse produite par les femmes, les personnes sans emploi, les enfants, les retraités... relève du PID. Nombre de richesses culturelles, écologiques et sociales ne sont par reconnues comme telles par le PIB, mais font monter le PID. « Indices » pose une question fondamentale qu'on ne pourra plus éluder très longtemps : comment passer d'une culture d'ultraconcurrence à une société où la valeur de l'entraide serait devenue un indice de richesse et de dignité collective ? Ce qui nous manque, ce sont des repères collectivement lisibles et partagés. Reste à inventer une richesse collective féconde, relais d'une richesse individuelle indigente. Ou, comme dirait Victor Hugo dans « les Misérables », à « limiter la pauvreté sans limiter la richesse ».
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