Jean-Louis Borloo, ministre de la discrétion durable

« Mais où est passé Borloo ? » La question fut récurrente au début de l'année, tant dans les milieux politiques que parmi les ONG de l'environnement. Le sommet international sur le climat de Copenhague, au mieux qualifié de demi-succès, au pire d'échec, venait de se terminer et, à part quelques interventions ponctuées de déclarations plus ou moins laconiques ici ou là, le ministre se faisait rare sur les ondes comme dans les colonnes des journaux. Son intitulé officiel le charge pourtant des « négociations sur le climat ». Seuls ses collaborateurs du ministère ont eu droit à « un compte rendu pédago de Borloo qui nous a expliqué pendant une heure que Copenhague était tout sauf un échec et qu'il ne fallait surtout pas désespérer pour la suite », raconte un des participants.Quelques jours après, comme une illustration amère de la loi de Murphy, qui veut que les catastrophes s'accumulent, une nouvelle bombe explosait en pleine trêve des confiseurs. Le Conseil constitutionnel censurait le projet d'instauration d'une taxe carbone. Un nouveau coup dur pour l'exécutif qui, depuis les annonces de Nicolas Sarkozy du 25 octobre 2007 lors du Grenelle de l'environnement, affirme que ce dernier constitue l'un des piliers majeurs de sa politique. À nouveau, le choeur des critiques de déplorer « le manque d'explications », « la disparition inexpliquée », bref les absences de Jean-Louis Borloo. « Nicolas Sarkozy, à peine la décision du Conseil constitutionnel connue, a pris ses responsabilités et imposé la date du 1er juillet pour un nouveau schéma de taxe carbone. Du côté Borloo, à part la défense molle des propos de Sarkozy, on attend encore qu'il s'engage, qu'il soutienne et qu'il fasse de la pédagogie sur la fiscalité verte, ce qui me semble être un minimum pour un ministre du Développement durable et numéro deux du gouvernement », fulmine ce responsable de la Fondation Nicolas Hulot (FNH) qui a travaillé en étroite collaboration avec le ministère pendant, comme après, le Grenelle de l'environnement.Plus récemment dans un registre moins essentiel puisqu'il s'agit de la question des péages urbains, le mutisme du ministre est à nouveau pointé. Alors que sa secrétaire d'État à l'Écologie, Chantal Jouanno, relance le débat avec un certain courage politique étant donné qu'il s'agit d'une disposition impopulaire et qu'elle est en campagne difficile pour les élections régionales, le numéro deux du gouvernement ne s'exprime pas sur le sujet. Est-ce parce qu'il a toujours été opposé à la mesure puisqu'il l'avait prestement ôtée du projet de loi initial Grenelle n° 2, avant que les sénateurs ne la ressuscitent en première lecture ?Les absences répétées de l'un des ministres comptant néanmoins parmi les plus populaires du gouvernement (avec 52 % d'opinions favorables selon un sondage Ipsos du 22 février, il est en cinquième position parmi les membres du gouvernement) contrastent avec son hyperprésence médiatique pendant et juste après le Grenelle de l'environnement. Selon « Le Canard enchaîn頻, ces absences auraient énervé jusqu'en haut lieu. Lors du conflit né de l'annonce par « La Tribune » (le 25 janvier) de la fermeture de la raffinerie Total, près de Dunkerque, le Premier ministre aurait téléphoné à Jean-Louis Borloo « pour lui rappeler qu'il (était) aussi le ministre de l'Énergie ». Le président de la République lui aurait également sommé « de mouiller sa chemise ». En clair, de sortir de son mutisme.Jean-Louis Borloo a « eu du mal au début à installer son ministère », raconte l'une de ses proches collaboratrices. Nicolas Sarkozy, en oubliant la recommandation du pacte écologique de Nicolas Hulot, qu'il avait signé lors de sa campagne électorale, et qui préconisait la création d'un vice-Premier ministre en charge du développement durable, « a créé une administration à la fois trop large et trop décousue et donc... quasi ingérable », juge l'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage. Le ministère du Développement durable, formule raccourcie d'un intitulé essoufflant (1), regroupe aujourd'hui des services qui « n'avaient jamais travaillé ensemble auparavant et c'est déjà un sacré challenge que de les voir discuter, échanger, et tenter d'aller dans le même sens », reconnaît-elle cependant. Cet immense paquebot, dont les prérogatives sont par nature largement transversales et dont la moindre décision intéresse immédiatement plusieurs ministères à la fois, est difficilement manoeuvrable.« Ce n'est pas le foutoir mais ça y ressemble parfois beaucoup », jugent plusieurs personnes de l'entourage direct du ministre d'État. Mais beaucoup reconnaissent que « le chef s'en sort pas mal » et louent « les coups de génie dont il est capable ». Jean-Louis ? « C'est un affectif, qui fait les choses à l'affectif, à l'impulsion. Et sur les sujets dont il s'empare, il sait être créatif », admet un de ses collaborateurs. « Parfois, il parvient au consensus de façon magique », reconnaît, un brin admiratif, François Grosdidier, député maire UMP de Woippy en Moselle, cheville ouvrière de la droite écolo. Jusqu'au moment où la machine s'enraye. « Il ne s'épanouit que dans le consensus et a tendance parfois à esquiver les questions quand elles fâchent », pondère le député. Il n'est jamais meilleur que « lorsqu'il faut convaincre, convaincre, convaincre », raconte ce haut fonctionnaire du ministère. L'avocat sommeille toujours sous les habits du ministre.En revanche, « après, quand il s'agit de gérer, ce n'est pas sa qualité principale », ajoute-t-il. C'est probablement là que le bât blesse le plus. Tout semble indiquer que le ministre, en bon politique, évite les projecteurs lorsqu'il considère que la lumière peut lui nuire. Mais ces prises de distances peuvent finir par le desservir. À trop rester silencieux, on finit par ne plus exister. Alors que le président de la République a fait de la politique énergétique l'une de ses priorités, par le biais du Grenelle de l'environnement ou encore en impulsant, lors de sa présidence de l'Union européenne, le paquet climat-énergie, il faudrait maintenant donner de la substance à ces choix. Ces derniers, par essence de longs termes, mettront en effet du temps à se concrétiser. En attendant, un minimum de pédagogie et de soutien politique sont nécessaires afin d'éviter qu'ils ne tombent dans les oubliettes. Rémy Janin (1) Ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer.
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