« Il faut s'attendre à un métissage des systèmes »

La Chine est attendue comme le relais de la croissance mondiale. Sera-t-elle également le paradis des marques occidentales??On ne peut pas aborder cette question sans s'interroger sur la place des signes dans la culture chinoise. Or, dans ce domaine, nous sommes dans un autre monde?! Tous les Chinois ont une grande sensibilité aux signes mais, contrairement aux Occidentaux qui procèdent par la distinction, ils ne les opposent pas les uns aux autres, mais les associent les uns avec les autres. Autre difficulté, toutes les marques existent déjà, le plus souvent avant même que les titulaires de droits ne les commercialisent dans le pays. Car le signe a une fonction intuitivement décorative plus qu'il ne sert, comme en Occident, à une fonction d'indication d'origine du produit, donc de sa qualité. Les Chinois achètent une valise signée non pas parce qu'elle est signée mais parce que toutes les valises sont signées?! Du coup, la clientèle est volatile, peu fidèle au signe. En revanche, le consommateur chinois apprécie l'achat irraisonné et recherche le produit innovant, rare ou cher pour conforter ou afficher un statut ou un genre social.La Chine est-elle donc toujours le royaume de la contrefaçon??La Chine a adopté, lors de son adhésion à l'OMC, l'essentiel de la codification internationale en matière de propriété intellectuelle, de protection des marques en particulier. Mais notre droit des signes est ici face à des obstacles conceptuels et culturels majeurs. Notre notion de copie ne peut pas être dupliquée en Chine à l'identique. La copie contient une part de création et un hommage aux anciens, un lien social, une traduction d'une vérité constante. De plus, le droit chinois du copyright s'est développé à partir des années 1920 en réaction à la notion de protection imposée par les Occidentaux à la fin du XIXe siècle avec les traités inégaux, et vécue comme une véritable injustice. Il faut donc procéder autrement et reconstruire une image autour des produits et de leur qualité, et de l'image que le consommateur souhaite se faire de lui-même, sans pour autant viser la reconstruction de monopoles.La Chine va-t-elle progressivement aligner son système juridique sur celui de la communauté internationale??Je ne le crois pas. On ne peut pas imposer notre modèle de protection de propriété intellectuelle à un pays aussi puissant qui n'en reçoit pas tels quels les concepts. Et il y a ici moins de rationalité économique à distinguer les producteurs compte tenu de l'énorme réservoir de consommation. La Chine, qui est à bien des égards le territoire de l'innovation, est encore loin d'avoir le besoin de créer des monopoles pour lutter contre des surcapacités de production?!Mais deux systèmes pourront-ils coexister dans une économie mondialisée??Le système chinois, lui-même en cours d'installation, va sans doute évoluer mais le nôtre devra le faire également. Comment d'ailleurs faire autrement dans un monde où la moitié de la richesse mondiale sera produite en Asie sous vingt ans?? Par exemple, la législation sur les brevets, d'inspiration socialiste, exige de l'inventeur qu'il révèle la totalité de son invention. Ce qui va à l'encontre du modèle économique des laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers devront sensiblement s'adapter pour entrer sur le marché chinois. C'est d'ailleurs ce que l'OMC est en train de réaliser. Les chefs d'entreprise redoutent toujours la Chine par crainte d'un manque de culture de la protection. Mais, en parallèle, de plus en plus de groupes étrangers conçoivent et produisent en Chine pour le marché chinois. Il faut donc s'attendre à un métissage des systèmes et des législations.Quelle sera la place de la Chine dans le marché mondial du luxe ?La Chine représentera 20 % du marché mondial d'ici à 2012 contre 11 % en 2008. Tous les ingrédients sont réunis pour cinq à dix ans de forte croissance. L'ouverture du marché aux femmes, l'innovation de haute qualité sont des enjeux importants tout comme la nouvelle génération, forte d'enfants uniques gâtés qui constituent les réseaux sociaux Web les plus nombreux au monde et dont on ne sait encore quels seront le projet et les ressorts de consommation.Propos recueillis par Éric Benhamou
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