Les taux bas font aussi faire de grosses bêtises

Les heureux bénéficiaires des taux bas sont légion. S'offrir quelques mètres carrés de plus lors de l'achat d'un appartement ou acquérir des parts de marché à peu de frais en croquant un concurrent ne doivent pourtant pas faire oublier toutes les bêtises que provoque aussi l'argent bon marché.La crise des subprimes n'aurait jamais eu les conséquences qu'elle a eues si les actifs classiques avaient offert une rémunération décente. Mais faute d'un coupon suffisamment attractif des emprunts d'État et, en 2007-2008, des obligations d'entreprises qui ne rémunéraient plus assez le risque, beaucoup de gérants ont cédé à la tentation d'investir dans des prêts immobiliers à haut risque, noyés dans la masse de paquets titrisés. Même les fonds monétaires dynamiques, confrontés à la fonte des taux du marché monétaire, ont succombé à cette tentation au grand dam de leurs souscripteurs. Dès l'été 2007, le réveil des porteurs de parts des fonds gérés par Oddo, AXA ou BNP Paribas a été douloureux...déstabilisation Des liquidités mal rémunérées ont également conduit les investisseurs à s'orienter vers des stratégies de « carry trade ». Elles consistent à emprunter de l'argent dans une devise à faible taux d'intérêt pour le replacer sur une devise qui rapporte davantage. Outre le risque supporté par les initiateurs de ces stratégies spéculatives, celles-ci déstabilisent le marché des changes. Et par ricochet les économies des pays concernés et le commerce mondial. Très actives de 2001 à 2007, ces stratégies de portage n'ont plus vraiment cours aujourd'hui... car les taux sont bas dans tous les pays occidentaux.Les emprunteurs aussi peuvent se laisser abuser par le bas niveau des taux. C'est parce que le coût de son endettement ne dépasse pas 4,5 % que Wendel conserve sa participation de 17,5 % dans Saint-Gobain sans qu'aucune stratégie ne vienne étayer cet « investissement ». Le refinancement de cette dette constitue pourtant un piège qui se refermera sur le holding s'il ne parvient pas à faire évoluer rapidement le statut de cette participation. Des investissements plus conformes à de véritables stratégies industrielles sont également faussés par des taux bas. Bien que le coût de la dette de Pernod Ricard soit revenu à 4,3 %, le rachat de la vodka Absolut a plombé ses bénéfices publiés jeudi.Quant à participer au refinancement de ces opérations, les investisseurs se montrent hésitants. Maurice de Boisséson, patron de la recherche chez le courtier obligataire Octofinances, juge que la prime de risque des obligations est aujourd'hui correcte. Le surcroît de rendement exigé pour le papier des entreprises les mieux notées atteint 180 points de base (1,8 %) alors que les obligations spéculatives offrent en moyenne une rémunération de 680 points de base (6,80 %) de plus que les emprunts d'État. Mais le spécialiste juge que compte tenu du taux des emprunts d'État - inférieur à l'inflation?! - la rémunération des investisseurs en obligations d'entreprise n'est pas satisfaisante.Le choix pour les investisseurs est donc d'être mal rémunérés avec des emprunts d'État considérés comme sans risque ou d'obtenir une rémunération elle aussi insuffisante en prenant un peu plus de risque. Pas étonnant que cette situation engendre de la nervosité sur les marchés.Christophe Tricaud
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.