Et si l'emprunt Sarkozy était un grand « sukuk »

La crise actuelle de Dubaï n'est pas la crise de la finance islamique, mais l'explosion d'une bulle immobilière financée par un excès de liquidités « conventionnelles ». Dubaï n'a ni ressources pétrolières ni ressources gazières et doit emprunter de manière structurelle sur les marchés afin de financer ses projets d'infrastructures, sans doute surdimensionnés aujourd'hui. L'intérêt de la finance islamique pour la France n'est pas affecté par cette crise : la France a plus que jamais besoin de capitaux pour financer sa croissance et préserver ses emplois. Les marges de man?uvre financières de l'État comme des collectivités locales sont plus que jamais étroites.On parle aujourd'hui d'un grand emprunt, de son montant, de son objet ou de ses règles de gouvernance. Pourquoi ne pas compléter ce grand emprunt par une grande émission de sukuk ?D'abord, émettre des sukuk permettrait de financer une partie des dépenses d'investissement de l'État et des collectivités locales, en mobilisant les capitaux du Golfe sans pour autant aggraver la dette publique de la France. En effet, un sukuk, n'est pas une « obligation islamique ». C'est un titre représentatif de la copropriété d'un actif tangible ou de son usufruit. L'émission de sukuk par l'État ou les collectivités locales ne rentrerait donc pas dans la dette publique de la France au sens « maastrichtien » du terme.Les types d'actifs qui pourraient être financés de cette manière ne manquent pas. On peut penser aux grands projets d'infrastructures, comme le Grand Paris et ses 35 milliards d'euros d'investissements, ou aux projets routiers ou autoroutiers. Il en va de même de l'engagement de l'État à acheter 50.000 véhicules électriques. Ces actifs ne sont pas stratégiques pour la France, inutile que les collectivités publiques s'endettent pour les acquérir, compte tenu de la baisse de leurs ressources fiscales.Ensuite, l'émission de sukuk serait un formidable accélérateur du développement de la finance islamique en France. Le gouvernement concrétiserait à l'égard du marché sa volonté politique de faire de la place de Paris le « hub » de la finance islamique en Europe. L'enjeu est réel : il est vraisemblable que le premier pays à émettre un sukuk aura une longueur d'avance sur ses concurrents européens.Enfin, une telle émission répondrait aux préoccupations qui se font jour à l'occasion du débat sur la gouvernance du grand emprunt. Un sukuk doit servir à financer des actifs tangibles très clairement identifiés et seuls les cash-flows générés par ces actifs servent à rémunérer l'investisseur. L'utilisation des fonds empruntés et la rémunération des investisseurs sont donc nécessairement connues dès l'émission des sukuk. Avantage supplémentaire : les collectivités publiques ne doivent aux investisseurs que la rémunération que l'actif génère, et donc sont moins en risque par rapport à un financement classique où elles doivent une rémunération quelle que soit la performance de leurs investissements.Pratiquement, des sociétés ad hoc (SPV) seraient constituées afin d'acquérir les actifs qu'elles loueraient aux collectivités publiques avec, pour elles, une option d'achat en fin de bail. Rien de très nouveau par rapport à ce que les collectivités publiques connaissent déjà avec les partenariats public-privé (PPP). Ces SPV financeraient l'acquisition de ces actifs en transférant, d'une part, les cash-flows générés par ces actifs à un véhicule français de titrisation et, d'autre part, la propriété juridique des actifs à un fiduciaire qui les détiendrait pour le compte du véhicule de titrisation. Ce dernier émettrait des parts de copropriété (les sukuk). Une émission de sukuk n'est qu'une forme parmi d'autres d'« asset backed securities » (ABS), dont la seule particularité est que les investisseurs islamiques puissent y souscrire.Il va de soi que ces émissions de titres seraient régies par la loi française et soumises aux tribunaux français. Les dispositions antiblanchiment s'appliqueraient aux investisseurs de sukuk comme à n'importe quel investisseur d'une émission obligataire classique. Ces titres seraient éligibles aux fonds souverains du Golfe, mais d'autres investisseurs seraient en droit d'y souscrire, sans discrimination.point de vue Gilles Saint-Marc Avocat associé, cabinet Gide Loyrette Nouel
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.