Des géants mondiaux de l'énergie, une singularité européenne... malgré Bruxelles

Une fois n'est pas coutume. L'Europe, et en particulier la France, abrite les plus grands énergéticiens du monde. Et de loin. En commençant par GDF Suez, le tout nouveau leader mondial qui vient de passer devant l'allemand E.ON en mettant la main cet été sur le britannique International Power. Si on ajoute EDF, l'italien Enel et l'allemand RWE, les cinq plus importantes « utilities » (fournisseurs d'électricité et/ou de gaz) du monde sont européennes. Loin derrière, on trouve les japonais Tepco et Kansai Electric Power, talonnés par le coréen Kepco.Un paradoxe pour l'Union européenne qui s'évertue depuis des décennies à casser les monopoles historiques de ces acteurs en ouvrant, au forceps, les marchés domestiques de l'électricité et du gaz. Loin de rabougrir, en partageant des morceaux de leur gâteau national, les géants énergétiques européens n'ont, au contraire, pas cessé d'avaler plus petits qu'eux depuis dix ans. Et leur appétit ne se dément pas. Entre 2007 et 2009, 55 % des acquisitions mondiales dans le secteur proviennent de groupes européens : ils ont mis 305 milliards de dollars sur le tapis pour grossir, pour moitié sur leur terrain national, pour moitié en dehors de leurs frontières, selon les chiffres publiés par PricewaterhouseCoopers.Malgré sa croisade anti-oligopolistique, Bruxelles est bien le principal moteur de cette consolidation, explique Denis Depoux, consultant chez Roland Berger. « Les acteurs européens ont anticipé depuis longtemps le fait qu'ils allaient devoir céder une partie de leurs marché régionaux ou nationaux historiques. Pour compenser ces pertes de revenus, ils ont cherché à se consolider sur d'autres marchés. Une façon de sauvegarder la croissance de leurs marges », souligne-t-il. D'autant qu'ils ont, jusqu'à présent, très peu cédé de terrain domestique. Au Royaume-Uni, le pays le plus « ouvert » dans le secteur de l'énergie, seulement 25 % des clients ont changé de fournisseur. En France, trois ans après l'ouverture totale du marché de l'énergie à la concurrence, la part de marché des concurrents d'EDF était, fin juin, de 5,2 %, et celle des rivaux de GDF Suez (ex-Gaz de France) était de 6,3 %.« En lieu et place de l'ancienne collection de monopoles nationaux de droit, les champions européens de l'énergie se sont organisés en oligopoles de fait, en consolidant leurs positions progressivement », confirme Denis Depoux. EDF, par exemple, détient désormais une part de marché de près de 30 % au Royaume-Uni, après avoir acheté London Electricity en 1998 puis le seul exploitant nucléaire britannique British Energy en 2008. Bruxelles ne s'est d'ailleurs jamais opposé à de telles opérations, dès lors qu'elles n'entravaient pas « l'ouverture » des marchés nationaux. Lorsque l'allemand E.ON a lancé une OPA hostile sur l'espagnol Endesa en 2006, la Commission avait donné son accord. Ce sont les autorités nationales espagnoles qui ont bloqué l'opération. Et Bruxelles a d'ailleurs traduit l'Espagne devant la Cour européenne de justice pour ce qu'elle considère comme une mesure protectionniste.Cette course à la taille a-t-elle pour autant un sens dans ces métiers ? « Dans la production d'électricité, il est crucial d'avoir la taille critique pour négocier dans de bonnes conditions avec les fournisseurs d'équipements, qui sont de plus en plus concentrés », affirme Denis Depoux. « De façon générale, il apparaît plutôt pertinent de diversifier sur différentes plaques géographiques le risque régulatoire qui pèse de façon très importante sur ces métiers », ajoute-t-il. Une exception : la vente d'énergie aux clients finaux ne bénéficie pas, elle, d'économies d'échelle, selon le consultant. « Au contraire, c'est un métier de proximité et une taille trop importante peut être gênante pour la gestion et les systèmes informatiques ». En France, EDF fournit 26 millions de clients et GDF Suez compte 10 millions de clients en gaz. « C'est une exception à l'échelle du monde », souligne Denis Depoux.Cet appétit de croissance des géants européens de l'énergie pourrait ne pas s'arrêter là. « Si, sous la pression de la troisième directive européenne, certains groupes sont obligés de se séparer totalement, ou en partie, de leurs réseaux gaziers et/ou électriques, cela peut leur donner de nouveaux moyens financiers pour relancer la consolidation », juge Denis Depoux. La première compagnie électrique espagnole, Endesa, propriété de l'italien Enel, vient d'annoncer la vente, pour 800 millions d'euros, de 80 % de son réseau de gaz naturel à deux fonds d'infrastructures gérés par la banque américaine Goldman Sachs. Pour sa part, EDF cède ses réseaux de distribution d'électricité britanniques au conglomérat de Hong Kong Cheung Kong pour une valeur de 3,2 milliard de livres sterling.Mardi prochain : l'aérospatiale et la défense
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