la table du manager Il y a six mois, ce restaurant de la campagne londonienne fermait pour plusieurs semaines d'inspection sanitaire après la plainte de centaines de clients intoxiqués. Une catastrophe pour la réputation d'un trois-étoiles, consacré deuxième meilleur restaurant du monde par la critique depuis cinq ans, et surtout une polémique internationale sur la sécurité de la cuisine moléculaire qui ébranla presque la statue d'el Bulli.Heston Blumenthal, le chef, vient d'être « blanchi ». Sa cuisine n'est pas en cause, seules les huîtres et autres clams risquent l'inculpation.Nous pouvions donc sereinement nous aventurer dans le « tasting menu » et ses douze plats, véritable expérience culinaire qui nécessite quand même de rester près de quatre heures à table.Dès le premier amuse-bouche, le décor est planté, le cérémonial peut commencer, à mi-chemin entre Disney, David Copperfield et Escoffier : un guéridon arrive avec un élégant seau à glace givré débordant de fumée d'azote liquide à moins 180 degrés (photo ci-contre), dans lequel un maître d'hôtel plonge une cuillerée de mousse citron-vodka et en ressort une boule glacée assaisonnée de thé sencha qu'il faut déguster immédiatement. Peu de sensations gustatives mais une énorme claque de fraîcheur qui réussit son objectif de nettoyer agréablement votre palais pour mieux accueillir la suite.impeccable en boucheOn démarre doucement avec une glace à la moutarde Pommery dans un gaspacho de chou rouge. C'est très beau chromatiquement, les saveurs sont là aussi et on se dit que cette entrée-là, on pourra la refaire chez soi.C'est au troisième plat que l'on décolle vraiment avec la gelée de caille en hommage à Alain Chapel. Dans une petite coupelle, sont superposées quatre couches à déguster en même temps, accompagnées d'un petit toast de truffes : crème de petits pois, gelée de caille, crème d'écrevisse et parfait de foie gras. Au-delà d'une association impeccable en bouche, c'est un exploit de construction et de miniaturisation.Ensuite, cela s'enchaîne ainsi pendant encore neuf actes, qui nécessiteront tous de participer activement au cérémonial : pour la soupe à la tortue d'Alice au pays des merveilles, on en lira un passage et on y versera une montre en bouillon enrobée de feuilles d'or alimentaire, on prendra des écouteurs avec les bruits de la mer pour déguster une planche marine de maquereau, flétan, bébés anguilles et thon jaune.Cette mise en scène, parfois un peu burlesque, n'empêche pas le saumon poché d'atteindre une perfection de cuisson et d'être brillamment associé à une mayonnaise vanillée. Cela n'empêche pas non plus la présence de plats plus rabelaisiens comme ce pigeon avec son pudding au sang, véritable concentré de saveurs d'entrailles de gibiers.On terminera par la même scénographie pour un petit déjeuner anglais en guise de dessert : des ?ufs remplis de crème anglaise au bacon par injection se transforment en glace et sont accompagnés de porridge, d'?ufs brouillés et d'une tranche de pain perdu. Le tout servi avec une tasse de thé chaud et froid à la fois, ultime prouesse technologique.Chaque plat est une démonstration de sophistication, de précision, de poésie et d'esthétisme ou le chef réussit à nous emmener où il veut, un pied dans la tradition et l'excellence culinaire, l'autre dans un second degré, une distance, presque une gadgétisation comme pour éviter de se prendre trop au sérieux.Indéniablement, cela fait travailler nos papilles, mais tous nos autres sens aussi. C'est du côté de nos tripes que l'on peut ressentir une petite frustration et une envie subite de plaisirs plus « delermiens ». Heston Blumenthal a justement ouvert pour cela un gastro pub en face du Fat Duck. [email protected] The Fat Duck, High Street, Bray Berkshire, SL6 2AQ. Tél. : + 44 (0) 1628.580.333.

latribune.fr

05 Oct 2009, 1:46

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