Rigueur : les calculs contestés, et contestables, de Bruxelles

9 octobre 2012. Ce jour-là, Olli Rehn, le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, a été pris en flagrant délit au mieux de légèreté, au pire de mauvaise foi. Les ministres des finances européens sont à Luxembourg. La veille, le Fonds monétaire international a jeté un sacré pavé dans la mare. Dans un épais rapport sur la consolidation fiscale dans le monde, il reconnaît avoir sous-estimé l’effet récessif des politiques d’austérité menées dans le Sud de l’Europe. L’homme de l’euro à Bruxelles, le patron des « hommes en noir » est à la tribune pour rendre compte à la presse de la réunion des ministres des finances des Vingt-Sept qui vient de se terminer.« Il y a toujours un impact de court terme négatif sur la croissance\"Peter Spiegel, l’incontournable chef du bureau du Financial Times lui demande, chiffres en main, une réaction sur le rapport du FMI. Le vice-président de la Commission prend note, promet de mettre à profit les longues heures de vol pour Tokyo, où il va représenter l’Union européenne aux assemblées générales d’automne du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, pour lire le rapport. Puis, sans se départir de son flegme finlandais si typique, il fait cette remarque passe-partout : « il y a toujours un impact de court terme négatif sur la croissance (des ajustements budgétaires) mais il faut voir l’effet sur la confiance ». Argument qu’il reprend quatre jours plus tard dans le Wall Street Journal où il s’élève contre le « mythe » d’une Commission aux choix arbitraires. Sous sa plume, la consolidation budgétaire sert moins la croissance ou l’emploi – dont la dégradation dramatique n’est nulle part mentionnée – mais la restauration de taux d’emprunt raisonnable sur les marchés pour les membres de la zone euro.L\'effet multiplicateur des coupes budgétaires sous-estiméCe commentaire passe toutefois à côté du point soulevé par les économistes du FMI. Ces derniers ne s’inquiètent pas des « effets à court terme », mais de la dynamique de moyen terme entraînée par la récession et le surendettement en Europe. Ils admettent en particulier qu’ils ont sous-estimé l’effet multiplicateur des coupes budgétaires sur la production de richesse et que dans un contexte de récession et d’austérité généralisés, où le secteur bancaire est en crise latente, ces effets peuvent être plus que proportionnels, qu’en d’autres termes la stratégie de consolidation risque de s’avérer contre-productive.Le 7 novembre, la Commission muscle son argumentaire. Dans ses prévisions d’automne, elle démonte les calculs du FMI, estimant que, en excluant le cas de la Grèce et d’autres pays comme l’Allemagne, « le multiplicateur moyen est inférieur à un ». Le débat n’est pas éteint pour autant. En réalité l’incertitude réside largement dans les taux d’emprunt… fixés par les marchés et par définition imprévisibles.Le refus de l\'autocritiqueSept semaines après le signal du FMI, le 27 novembre, trois instituts de recherche économique : l’OFCE en France, l’IMK en Allemagne et l’ECLM scandinave, enfoncent le clou. Réunis à la demande des députés européens sociaux-démocrates, ils publient une « revue annuelle de croissance indépendante », sorte de contrepoint critique aux analyses de la Commission. Selon eux, l’impact récessif d’une coupe budgétaire de 1% du PIB n’est pas de « 0,5% à 1% » comme en temps normal mais « excède 1,5% ».Le lendemain, la Commission européenne publie sa propre revue annuelle où l’on cherche en vain une autocritique. Cependant, Olli Rehn entrouvre la porte à la possibilité d’exclure « temporairement » et exceptionnellement certaines dépenses d’investissement public du calcul du déficit pour redonner une marge de manœuvre à certains pays dans l’ajustement.« La Commission devrait proposer le report des mesures d’austérité en contrepartie des réformes structurelles »Pour Jérôme Creel, économiste à l’OFCE, la stratégie portée par la Commission européenne au nom de la zone euro n’est pas seulement contreproductive. Elle ne découle en outre pas naturellement des règles que les Européens se sont fixées. « La Commission devrait proposer le report des mesures d’austérité en contrepartie des réformes structurelles », juge-t-il. « Elle pourrait le faire en application du fiscal compact », autrement dit le traité budgétaire.« Il faut être prêt à 20 ans d’austérité », dit-il, « mais la mener de façon intelligente ». Une consolidation budgétaire plus limitée mais significative de 0,5% de PIB par an « en ligne avec les traités et le pacte fiscal », selon les auteurs de cette contre-revue annuelle, « donnerait pour la seule année 2013 une marge de manœuvre concrète de plus de 85 milliards d’euros » par rapport aux plans de consolidation budgétaire arrêtés par la Commission européenne et endossés par les gouvernements. Au regard d’un tel assouplissement relatif, les fonds débloqués au titre du « pacte de croissance » demandé par François Hollande (24 milliards par an entre 2013 et 2017) semblent presque dérisoires.L\'entêtement de Christine Lagarde a payéDans le cas grec, la discussion entre le FMI et la Commission sur la soutenabilité de la dette grecque signalait de profondes divergences d\'analyse économique. La Commission européenne, pour ne pas faire mentir son modèle, le dopait par des hypothèses de croissance farfelues permettant finalement de dégager des excédents salvateurs, pendant que le FMI, plus sceptique, voyait le salut dans une restructuration des dettes. Il a fallu tout l’entêtement de Christine Lagarde, ses fâcheries avec Jean-Claude Juncker, ses moues obstinées pour obliger les Européens à plus de réalisme.Le problème est qu’en l’absence du FMI, la critique glisse sur la carapace de la Commission. Le filtre que devrait représenter l’expertise interne – 370 économistes qualifiés travaillent à la direction générale des affaires économiques – serait inopérant. « C’est classique dans les organisations internationales » où l’expertise est soumise aux impératifs politiques, relève Jérôme Creel. « Mais le FMI a quand même du prendre un peu de distance après la crise asiatique », dont sa gestion s’était avérée calamiteuse. La Commission est une organisation bureaucratique classique dominée par sa hiérarchie et non un organisme de recherche.La Commission a besoin d\'une contre-expertiseEconomiste, Olli Rehn incarne toute l’ambivalence de son institution, qui prétend imposer son magistère juridico-économique au nom de l’expertise et refuse de se laisser appréhender comme un organe politique. La crise de l’euro a pourtant placé la Commission dans un rôle réellement exécutif puisque ses recommandations économiques sont désormais reprises quasi-automatiquement par les gouvernements nationaux, en vertu des réformes de la gouvernance économique adoptées depuis deux ans.A défaut pour la Commission européenne d’assumer sa nature politique, peut-être gagnerait-elle à encourager la contre-expertise en se faisant conseiller aussi par un ou plusieurs groupements d’instituts de recherche économique. 
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