Concurrence  : les amendes européennes en question

Mardi 12 janvier, le nouveau commissaire européen en charge de la concurrence, Joaquin Almunia, sera auditionné par le Parlement européen. La question du montant des amendes infligées aux entreprises accusées d'enfreindre les règles de concurrence y sera probablement abordée. Entre l'époque de Jacques Delors et celle de José Manuel Barroso, le montant des amendes collectées pour ententes et abus de domination est passé, en moyenne, d'une centaine de millions d'euros par an à plus de 2 milliards ! Alors que les amendes qui dépassaient les 10 millions par société comptaient à l'époque parmi les plus élevées, aujourd'hui on dépasse le milliard d'euros pour une seule et même entreprise.Or, ces sanctions pénalisent surtout les entreprises qui réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires sur le territoire de l'Union, donc les entreprises européennes : au cours des deux dernières années, on a ainsi vu Saint-Gobain condamné à 850 millions d'euros d'amende et GDF à 550 millions. Selon une étude effectuée par le professeur John M. Connor, de l'American Antitrust Institute, les entreprises européennes acquittent 67 % des amendes infligées dans le monde par des autorités de concurrence, reflet de l'extrême sévérité de Bruxelles à leur égard. Il est vrai que la politique d'amendes appliquée par la Commission européenne est tout à fait singulière. Depuis le début des années 2000, les sanctions sont trois à quatre fois plus élevées en Europe qu'aux États-Unis. En Asie, la différence est encore plus flagrante : en Corée du Sud, une amende « record » de 146 millions d'euros vient d'être infligée? à une entreprise américaine ; auparavant, 10 millions d'euros étaient considérés comme très sévères. Au Japon, les amendes les plus élevées infligées pour manquement aux règles de concurrence sont de quelques millions d'euros.Au Parlement européen, des voix commencent à s'interroger sur le bien-fondé d'une telle politique, au moment où notre handicap de compétitivité devient plus aigu. Sans remettre en cause l'objectif de la lutte contre les cartels ou les abus de position dominante, elles demandent si une amende qui représente plusieurs années des investissements d'une entreprise ne constitue pas une menace excessive pour son avenir. Elles interpellent la Commission européenne sur l'opportunité de mettre en péril la viabilité économique des groupes européens en affectant leur compétitivité par rapport à leurs concurrents hors Europe. Pour d'autres, la politique de concurrence n'a pas pour objectif de contraindre les contrevenants à des plans sociaux, quand ce n'est pas à la faillite : en septembre dernier, l'entreprise slovaque Novacke Chemicke Zavody a déposé son bilan, faute de pouvoir acquitter une amende de 19,6 millions d'euros infligée en juillet par la Commission. Plus généralement, la Commission est invitée à faire preuve de plus de discernement, sous peine de menacer les intérêts économiques de l'Europe.Certes, réduire le montant des sanctions financières suppose que l'on s'interroge sur des modes alternatifs de sanction, si l'on ne veut pas que les infractions au droit de la concurrence se généralisent. Les États-Unis recourent aux peines privatives de liberté pour les dirigeants directement impliqués. C'est peu conforme à notre tradition, mais cela a l'avantage de ne pas réellement affecter la compétitivité des entreprises en cause et de ne pénaliser ni les salariés, ni les actionnaires, qui, dans le système européen, se trouvent finalement sanctionnés par une perte de la bonne santé économique de l'entreprise dans laquelle ils travaillent ou ont investi. Du côté du Royaume-Uni, on met en place une « interdiction de gestion » des personnes physiques reconnues coupables de telles infractions. Toutes ces pistes sont intéressantes et méritent d'être explorées. Seul le statu quo semble à écarter. Une remise à plat du système paraît d'autant plus s'imposer que les critiques à l'encontre de Bruxelles s'accompagnent d'une contestation croissante des règles procédurales de Bruxelles, considérées comme fort peu conformes aux principes édictés par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Le fait qu'au sein de la Commission les mêmes personnes décident d'ouvrir une enquête, mènent l'accusation, puis statuent sur la sanction ne correspond guère aux règles du « procès équitable » qui sont définies par la CEDH. C'est une autre histoire, mais le nouveau commissaire à la concurrence pourrait bien être invité à y réfléchir. nPoint de vue Jean-Paul Tran Thiet Avocat à la cou
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