25 mars 2011 : l'Allemagne dit « oui » à l'Europe

Le « plan Marshall ». L'UE était à la croisée des chemins : soit elle franchissait le pas vers une union économique et fiscale, soit elle restait sur la voie de la désintégration. Après quinze années de discussions improductives sur son règlement intérieur et quinze mois de bricolages sous la pression des marchés, les Européens ont enfin fait un bond en avant. L'accord scellé le 25 mars 2011 à Bruxelles entre les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement semble de nature à mettre un terme à l'instabilité de la zone euro. Il ouvre des perspectives sur trois fronts : monnaie, sécurité énergétique et défense.Le premier volet consiste dans le doublement à 880 milliards d'euros du Fonds de stabilisation pour lequel nous plaidions de concert avec le FMI. Conformément à nos discussions avec le DG Strauss-Kahn, le FMI a assuré le doublement de son enveloppe à 500 milliards d'euros. Le fonds renforcé pourra racheter des obligations des pays de la zone euro, sur le marché secondaire, sous réserve d'ajustement budgétaire dans le cadre de la procédure de coordination fédérale dite du « semestre européen ». Cela devrait permettre de sortir par le haut du refus de la BCE d'amplifier ses politiques non conventionnelles.Le deuxième volet concerne le « financement de la croissance à travers des dépenses d'avenir », parallèlement aux mesures d'austérité budgétaire mises en place depuis deux ans en Europe. L'enveloppe des fonds de projets européens (« EU project bonds ») a été fixée à 500 milliards d'euros pour dix ans. Le président français Sarkozy a parlé d'un « nouveau plan Marshall » mais n'a pas revendiqué la paternité de cette percée qui a permis l'adhésion de l'Allemagne à ce qui suit.Le troisième volet consiste dans la création d'un marché obligataire commun. La conférence intergouvernementale (CIG) chargée de délimiter les contours d'une union économique et les adaptations afférentes du traité de Lisbonne doit s'ouvrir en 2012.Motivations et dynamique de négociation. Du débriefing ce 26 mars avec Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, qui joue dans les faits un rôle de secrétaire général, il ressort que les négociations ont pris un tour nouveau pendant la nuit du 24 au 25 après une initiative surprise des Piigs. L'appel, lancé début mars, des chefs de gouvernement espagnol, portugais et grec en faveur d'euro-obligations faisait suite à plusieurs mois de contacts serrés avec la Chine, où le DG Strauss-Kahn est intervenu comme facilitateur. Les dirigeants sudistes socialistes auraient menacé de s'accorder directement avec Pékin sur le refinancement de leur dette s'ils n'obtenaient pas des garanties sur une mutualisation partielle des dettes. L'inquiétude d'une poussée brutale de l'influence chinoise aurait largement contribué à rallier l'Allemagne à ce que le ministre des Finances Schäuble, a appelé, lors d'un entretien avec l'ambassadeur Murphy, « un saut copernicien ».L'augmentation à court terme du Fonds de stabilisation était attendue, compte tenu de la dégradation de la situation sur les marchés, qui a entraîné la chute de l'euro à quasi-parité avec le dollar et la contagion de la crise à la France et à l'Italie. Les ministres de l'Eurogroupe doivent se réunir la semaine prochaine pour définir le « bail-out » de l'Espagne, qui comprend, outre la prise en charge du programme d'émissions 2011 et 2012 pour 160 milliards d'euros, une recapitalisation des Caixa (caisses d'épargne) pour 50 milliards d'euros, et du Portugal pour 36 milliards. L'abaissement de la notation française en février après la grève générale qui a paralysé le pays pendant trois semaines a nettement infléchi la position de la France (voir télégramme séparé de l'ambassadeur Rivkin suite à ses entretiens avec le conseiller économique français Muscat).Les groupes de travail franco-allemand sur la convergence fiscale, créés en 2010, serviront de matrice aux négociations de l'union économique et des « EU project bonds », limités pour l'instant à la zone euro. Le virage d'une « germanisation » des politiques économiques en contrepartie de l'extension de la garantie allemande à l'ensemble de la zone euro est pris. Mais il est assorti d'un volet relance plutôt encourageant, très favorable à l'industrie allemande. Le PM britannique Cameron a souligné qu'une participation « à la carte » aux fonds de projet, particulièrement sur le volet défense, pourrait être « éventuellement dans l'intérêt national britannique ». D'après le PM suédois Reinfeldt, discret mais efficace, qui nous a accordé un entretien vendredi avant la reprise de la séance, la chancelière Merkel a obtenu que le « paquet » comporte des garanties en termes de « taux de retour » sur les marchés d'infrastructure et de défense pour les entreprises allemandes. La seule intégration des réseaux électriques et leur modernisation représente un marché potentiel de 40 milliards d'euros, selon General Electric. Par ailleurs l'anneau d'éoliens en mer du Nord, dont les travaux seraient lancés en 2012, réduira à terme de 20 % la dépendance énergétique européenne à l'égard de la Russie. Les dirigeants européens semblent enfin prendre la mesure de leur dépendance vis-à-vis des capitaux internationaux et de la nécessité de miser de façon crédible sur un agenda de croissance pour les attirer.Recommandation en vue de votre déplacement du 4 au 6 avril. Le changement d'attitude européen fournit l'occasion de remettre sur la table le projet du US Treasury de stabilisation des balances des paiements, suite au G20 de Séoul. De mon contact avec le président Van Rompuy, il ressort que l'UE poserait trois conditions pour l'appuyer : 1. Que la zone euro soit considérée comme un bloc unique dans la surveillance des déséquilibres ; 2. Que le monitoring soit confié au secrétariat du G20 et non au FMI (demande française) ; 3. Que le G2 soit transformé en G3, avec l'UE. La présidence française du G20 nous a fait savoir par d'autres canaux qu'elle était prête à travailler à ce qui serait une concrétisation de l'idée - vague - de « nouvel ordre monétaire » défendu par le président Sarkozy. De manière générale, ces avancées pourraient positionner l'UE comme un partenaire utile et fiable.
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