Apprivoiser la mort... en courant après l'immortalité

C'est une première et c'est un signe : un « Salon de la mort » ouvrira ses portes vendredi à Paris au Carrousel du Louvre. Alors que nous courons à dépasser la fatalité de notre fin à coups de clonage thérapeutique, de cellules souches et autres biotechnologies ou technosciences, des voix s'élèvent pour redonner sa place à la mort. En un mot, la repenser. La créatrice de ce salon, Jessie Westenholz, estime qu'il nous faut méditer la mort pour mieux apprécier la vie. À 89 ans, le penseur Edgar Morin y consacre un chapitre entier de son dernier ouvrage « la Voie ». Selon lui, les enterrements laïques manquent d'un cérémonial permettant d'adresser un adieu sacré au défunt : « La mort si longtemps refoulée est revenue demander au vivant de prendre conscience de son inéluctabilité et de son mystère. » Il y a cinquante ans, 80 % des décès survenaient à domicile, aujourd'hui plus de 80 % ont lieu à l'hôpital. La modernité sociale a tout fait pour dissimuler cette tragédie. La perte progressive de la foi religieuse a contribué à augmenter notre épouvante. Et la « déritualisation » nous laisse face à des deuils ressentis comme plus cruels encore. Si vieillir nous dégoûte, mourir nous est insupportable. Mais la crise et les catastrophes naturelles qui s'enchaînent sur la planète, la menace qui pèse sur notre écosystème, une richesse matérielle qui échoue à nous combler, le procès fait aujourd'hui au profit, tout concourt à l'urgence d'un retour du sacré. « La réforme de vie ne peut qu'être accompagnée par une réforme de la mort », écrit Edgar Morin, liant la métamorphose qu'il appelle de ses voeux à une acceptation de notre condition de mortel. « Qui a appris à mourir a désappris à servir », disait Montaigne. Autrement dit : pour vivre libre, il faut apprendre à ne pas craindre la mort. Un adage mis en action aujourd'hui par les peuples du monde arabe.Mais sommes-nous si prêts à apprivoiser notre condition de mortel ? Après avoir augmenté de façon exponentielle l'espérance de vie (en France de près d'un trimestre par an), notre soif d'éternité apparaît toujours aussi inextinguible. Nos morts, nous voulons désormais les garder avec nous. Au-delà de l'urne, émergent de nouveaux objets permettant de rester en contact avec le disparu comme les cendres transformées en diamant synthétique à porter en bijoux ou incorporées dans une divinité. À la Biennale du design de Saint-Étienne, les Britanniques Dunne & Raby présentaient un « after life project », visant à garder avec soi l'âme des défunts. Le principe consiste à récolter après décès le potentiel électrochimique de la personne à travers une pile chargée des sucs gastriques issus de la décomposition de ses cellules. Cette pile peut alors fournir l'énergie à toutes sortes d'objets, une énergie « éternelle ».Ne parvenant pas à assurer l'immortalité du corps, l'homme cherche à concevoir celle de l'esprit dans des objets doués d'émotions, voués à lui conférer une part d'infini. Des chercheurs travaillent à transférer les données du cerveau dans des ordinateurs, clone ou corps bionique, pour donner à la matière pensante une vie artificielle. « Avec l'exploration de l'Univers, l'euthanasie de la mort va devenir l'ultime frontière pour l'humanité [...], nous sommes à la veille d'un bouleversement qui fera passer l'ensemble des progrès médicaux du XXe siècle pour des micro-événements », prévient le neurobiologiste, Laurent Alexandre, dans un ouvrage à paraître ce mois-ci « la Mort de la mort ». Les progrès génétiques, les nanotechnologies et l'explosion de la robotique vont, d'après lui, littéralement remodeler l'humanité dans les années qui viennent. La lutte sisyphéenne contre la mort n'a pas dit son dernier mot. Un salon suffira-t-il à nous rappeler la sagesse d'Heidegger qui prétendait que l'homme devait apprendre à devenir un mortel ? Au moins saura-t-il nous rappeler celle de Cocteau pour qui « le vrai tombeau des morts, c'est le coeur des vivants ».
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