Elisabeth Guigou "Nous avons tout à gagner à un rapprochement économique entre les deux rives de la Méditerranée"

LA TRIBUNE - Vous avez accompagné François Hollande lors de ses voyages officiels au Maghreb. Les dirigeants de ces pays se montrent-ils intéressés par le partenariat Euromed ?ÉLISABETH GUIGOU - Le constat partagé des deux côtés de la Méditerranée est que nous avons un avenir commun et que nous serons plus forts ensemble. Mais, dix-huit ans après le lancement du processus de Barcelone par l\'Union européenne, il est normal que l\'on s\'interroge. Les besoins économiques des pays du sud de la Méditerranée restent importants, et la demande de coopération est plus exigeante. De son côté, l\'Europe souffre de la crise économique et peut avoir tendance au repli. Mais il n\'y a pas de fatalité. Les évolutions profondes qui traversent les sociétés arabes doivent conduire l\'Europe à repenser son approche du Sud. Les populations de la rive sud n\'attendent que cela.Au Maroc, le président de la République a, en quelque sorte, labellisé le concept de « colocalisation industrielle » Nord-Sud, qu\'il a évoquée très positivement dans chacun de ses trois discours. Partagez-vous son point de vue ?Oui, car les pratiques d\'accaparement des richesses du « Sud » par les entreprises du « Nord » ou les grands émergents se heurteront à des oppositions qui iront croissant. La « colocalisation industrielle » se veut un modèle d\'échanges plus équitable, où les entreprises des pays industrialisés délèguent des séquences de production de biens intermédiaires à des pays en développement. Pour ces derniers, cela crée de l\'emploi pour des ingénieurs et des techniciens. Les entreprises du Nord gardent quant à elles les fonctions de conception et d\'assemblage et baissent substantiellement leurs coûts de production. Pour moi, c\'est un modèle d\'avenir, car il garantit le développement et stimule la croissance et l\'emploi des deux côtés. L\'Allemagne l\'a mis en place avec les pays d\'Europe centrale et les deux partenaires en ont bénéficié.Mais, avec notre taux de chômage actuel, comment « vendre » politiquement cette approche aux Français ?Expliquer et convaincre, c\'est l\'alpha et l\'oméga de la politique. Nous avons tout à gagner d\'un rapprochement économique entre nos deux rives. En outre, on note de plus en plus que certains entrepreneurs maghrébins réalisent des opérations du Sud vers le Nord en investissant dans des entreprises. Les économies des pays du sud et de l\'est de la Méditerranée sont structurellement sur liquides et peuvent trouver en France et en Europe des PME qui ont besoin de financements industriels, puisque les financements bancaires sont difficiles à obtenir.Au titre de votre présidence de la commission des Affaires étrangères de l\'Assemblée nationale, vous avez notamment investi deux missions, sur l\'Algérie et le « printemps arabe ». Où en sont leurs travaux ?Ces deux missions d\'information ont fort à faire. Dès le début de cette nouvelle législature, nous avons choisi d\'avoir un regard en profondeur sur le Maghreb et les pays de la Méditerranée. L\'actualité récente l\'imposait. La mission d\'information sur les « révolutions arabes » - terme préféré à celui de « printemps arabe » - s\'est déplacée en Égypte, en Libye et deux fois en Tunisie. Elle s\'intéresse notamment aux traits communs entre les mouvements en cours, aux transitions qui se déroulent et aux politiques à mener pour s\'adapter à ces changements et pour les accompagner, sur le plan tant français qu\'européen. Elle devrait rendre ses conclusions à la rentrée, tout comme la mission d\'information sur l\'Algérie, qui abordera tant la relation bilatérale que la question de l\'évolution de ce pays avec lequel nous avons tant de liens.Vous êtes favorable à la mise en place d\'une communauté euroméditerranéenne de l\'énergie, qui serait un bon exemple de cette « Méditerranée des projets » que promeut désormais François Hollande. Comment l\'imaginez-vous ?Par « Méditerranée des projets », j\'entends un partenariat fondé sur des coopérations concrètes, ciblées et pragmatiques, sur un rapprochement qui part d\'en bas. Je l\'oppose à une approche trop institutionnelle, où les frictions politiques peuvent bloquer a priori le rapprochement. La mise en place d\'une communauté euroméditerranéenne de l\'énergie - projet ambitieux, de long terme, mais qui doit être mûri dès à présent - fonctionnerait de cette façon. La complémentarité de fait entre la rive sud, qui possède un vaste potentiel éolien, solaire et d\'hydrocarbures, et la rive nord, qui détient une avance technologique et des capacités d\'investissement larges, doit déboucher sur un partenariat énergétique bénéfique aux deux rives.Vous avez aussi déclaré qu\'il faut en finir avec l\'étatisme et le bilatéralisme. Mais l\'Union pour la Méditerranée (UPM), qui a succédé en 2008 au processus de Barcelone, est bien structurellement multilatérale..., mais apparaît encore politiquement en panne. Comment la relancer ?L\'UPM part d\'une bonne intention, mais elle a été bloquée par des rivalités et conflits politiques chroniques entre les pays du sud et de l\'est de la Méditerranée, ainsi que - ne l\'oublions pas - par un désintérêt de la part de certains pays européens. Il faut saisir les bouleversements géopolitiques qu\'ont connus les pays méditerranéens pour relancer le dialogue régional, avec pragmatisme. Les échanges au sein de la société civile, la coopération décentralisée, le Dialogue 5+5 doivent également être mobilisés, en complément de l\'UPM. Il faut instaurer un climat de confiance et développer des projets concrets, où chacun trouve son intérêt. Les institutions viennent après - c\'est peut-être là l\'erreur « politique » du lancement de l\'UPM.Martin Schulz, président du Parlement européen, a déclaré récemment que, selon lui, la relance de l\'Euroméditerranée se fera par les Parlements. Qu\'en pensez-vous ?C\'est assurément une approche qu\'il convient de développer. Les parlementaires, en particulier ceux des pays riverains de la Méditerranée, sont particulièrement sensibilisés aux enjeux de la consolidation des liens au sein de la région. J\'attends d\'ailleurs beaucoup de la mission confiée par le président de la République à mon collègue Michel Vauzelle sur la Méditerranée des projets [Michel Vauzelle doit rendre son rapport le 15 juillet, ndlr]. Les Parlements sont une chance pour le partenariat euroméditerranéen, mais j\'irai même plus loin : il me semble primordial que les sociétés civiles soient partie prenante de la coopération euroméditerranéenne. On ne fera pas la Méditerranée sans les Méditerranéennes ni les Méditerranéens. Là où les initiatives étatiques ont montré leurs limites, il y a un espace considérable qui s\'ouvre pour les initiatives au niveau des sociétés civiles, de la jeunesse, des femmes, des entreprises ou des collectivités locales.
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