Les deux faces du défi climatique

La face positive des défis liés à l'environnement, Dominique Nora la décrit avec une verve réjouissante dans « les Pionniers de l'or vert ». Ceux qui croient en la capacité de l'homme à réagir au bord du précipice y trouveront quelque motif d'espoir. Car ce que décrit la journaliste du « Nouvel Observateur » écorne l'image caricaturale des États-Unis, celle d'un pays crispé pour l'éternité dans ses habits de plus grand gaspilleur d'énergie et de plus puissant pollueur de la planète. Bien sûr, son enquête se concentre sur la Californie, où la conscience écologique date des années 1960? Mais ses portraits de scientifiques ou d'entrepreneurs inventifs symbolisent la vitalité d'un pays où bouillonnent les idées sur la façon de dessiner un avenir plus « vert ». La boulimie des capital-risqueurs ou l'intérêt de géants de l'automobile et de l'énergie pour ces PME le confirment. Même si le « thé de lombric », les bolides écologiques ou les miroirs tournesols, sans oublier l'idée de remplacer les postes à essence par des points de distribution de batteries pour les voitures électriques, n'entreront pas en un jour dans notre vie quotidienne. Car le mouvement fait tache d'huile et, parfois à son corps défendant, l'Amérique semble se rallier à la « cause verte ».Pour y parvenir, il aura fallu, selon Dominique Nora, une étonnante « conjonction astrale »?: la raréfaction du pétrole, rendue concrète par l'envol des prix à la pompe?; les attentats du 11 septembre 2001 et le réveil de la peur de la dépendance énergétique?; l'angoisse née de l'annonce de la multiplication de catastrophes naturelles dues au réchauffement climatique. Mais l'auteur le souligne, avec lucidité?: si les « pionniers » géniaux ou hauts en couleur qu'elle croque d'un bel appétit prouvent que la Californie reste un laboratoire incontesté de recherche ? sur la « greentech » ou la « cleantech », comme elle le fut sur la « high-tech » ?, ils ne sauraient apporter une réponse globale aux maux environnementaux qui rongent la planète. Des maux qui pourraient prendre des dimensions sociales dramatiques si l'on ne réagit pas au niveau mondial. C'est ce que décrit, de façon percutante, Harald Welzer dans un livre aussi inquiétant que son titre, « les Guerres du climat ». Pour ce psychosociologue allemand, connu outre-Rhin pour ses analyses sur l'anthropologie de la violence, l'épuisement de ressources aussi vitales que l'eau ou les terres arables dans certaines régions va aiguiser les inégalités et les conflits, provoquer des flux migratoires massifs, bouleverser bien des équilibres. Bref, « la violence est promise à un grand avenir » en ce XXIe siècle. Son analyse est implacable et aurait séduit Claude Lévi-Strauss, qui vient de disparaître, et qui avait fait du pessimisme l'aiguillon d'une réflexion sans concession sur le futur. Car, pour Harald Welzer, le climat est devenu « le plus grand défi social de la modernit頻.Pour mieux en persuader le lecteur, l'auteur part d'exemples symboliques comme celui du paquebot « Eduard-Bohlen », cette épave qui s'enfonce depuis près de cent ans dans le désert de Namibie qui grignote la mer, après avoir été l'orgueil de la politique de colonisation allemande. Sommes-nous tous responsables?? Difficile de mettre dans un même « nous » le PDG d'une multinationale de l'énergie et une ouvrière agricole chinoise. Et comment un « quadra » d'aujourd'hui peut-il se sentir responsable des calamités climatiques dont la cause « se situe avant sa naissance, et la solution après sa mort »?? Redoutable casse-tête pour les États démocratiques. Pourtant, les conséquences des dérèglements du climat s'annoncent « anodines », en Europe comme en Amérique du Nord, comparé à ce qui attend les pays les plus vulnérables. Dans les États les plus faibles de tous les continents se développent, sans qu'on y prête assez d'attention, des marchés privatisés de la violence. Et la sécheresse ou les catastrophes naturelles sont de plus en plus souvent les éléments déclencheurs d'« écocides », dont le Rwanda ou le Soudan sont de tristes exemples. De quoi provoquer une explosion des migrations où l'on ne pourra plus distinguer les réfugiés politiques des réfugiés climatiques. La problématique sociale de la violence risque alors de l'emporter.Aucun processus social n'évoluant de façon linéaire, l'auteur exclut tout pronostic définitif. Et, fait inédit, il laisse au lecteur le choix entre deux conclusions. La première permet d'espérer un sursaut culturel salvateur pour limiter la « logique mortifère » dans laquelle nous sommes engagés. Non sans humour, Harald Welzer appelle les optimistes à terminer là leur lecture. Car il craint une issue beaucoup plus sombre, celle de « la fin du rationalisme des Lumières et de sa conception de la Libert頻. Certes, Harald Welzer s'offre le luxe d'avouer qu' « il est des livres qu'on écrit dans l'espoir de se tromper ». Il en est, comme le sien, qu'il est bon de lire, pour mieux comprendre où l'on risque d'aller. Françoise Crouïgneau « Les Pionniers de l'or vert », par Dominique Nora. Grasset (360 pages, 20,90 euros).« Les Guerres du climat », par Harald Welzer. (Gallimard, 365 pages, 24,50 euros).lectures l'actualité des idées et des concepts
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