Les professionnels ne veulent pas de normes trop strictes

L'évaluation financière est si peu encadrée qu'elle fait presque figure d'anomalie dans l'univers réglementé de la finance. Mais avec l'essor du concept de « juste valeur », l'évaluation est apparue comme le maillon faible de l'information financière lors de la crise du « subprime », qui a mis en évidence la difficulté à cerner la valeur intrinsèque d'un actif en l'absence de transactions sur le marché. Les régulateurs de marché et les normalisateurs comptables ont donc demandé davantage de clarté et de cohérence dans les pratiques de valorisation, et appelé de leurs voeux l'élaboration de standards internationaux.C'est dans ce contexte que le Conseil international des normes d'évaluation (IVSC), désormais présidé par Michel Prada, s'est engagé dans une démarche de normalisation. Pour remédier à l'absence d'entité française au sein de cette organisation internationale, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a, de son côté, soutenu la création de la Fédération française des experts en évaluation (FFEE), qui a fait son entrée à l'IVSC le 9 octobre dernier. « Notre objectif est de faire porter la voix des évaluateurs français dans les débats internationaux et de contribuer à la diffusion des standards de l'IVSC », explique son président, Dominique Ledouble.Mais si la profession, consciente que les absents ont toujours tort, s'est mobilisée pour se faire une place à l'IVSC, elle n'en est pas moins circonspecte quant à la pertinence de la normalisation. « Les professionnels ne veulent pas de normes trop précises ou contraignantes, car l'évaluation est un exercice subjectif et lié à un contexte spécifique », résume Jean-Florent Rérolle, managing director de la banque d'affaires Houlihan Lokey en France. De fait, « il sera difficile d'aller plus loin que la définition de principes, même si l'on peut essayer de préciser les méthodes à mettre en oeuvre, par exemple pour le calcul du taux d'actualisation », estime Sonia Bonnet-Bernard, associée gérante au cabinet Ricol Lasteyrie.La normalisation pourrait ainsi servir à « homogénéiser le coeur de la profession et à isoler les professionnels qui s'écartent des bonnes pratiques », insiste Dominique Ledouble. À défaut de dire ce qu'il faut faire, la normalisation pourrait donc indiquer, en creux, ce qu'il ne faut pas faire. Plus sévère, Bruno Husson, associé au cabinet de conseil financier Accuracy, juge que « les normes ne sont pas très utiles aux évaluateurs car ceux-ci observent déjà des pratiques de place. En revanche, elles peuvent l'être pour les non-évaluateurs, pour comprendre comment les évaluateurs travaillent ». Dans cette optique, les standards pourraient servir de référence aux régulateurs, aux auditeurs et au marché. Ainsi, l'AMF n'exclut pas la « possibilité de faire référence, à terme, aux standards de l'IVSC », mais « ne se prononce pas, à ce jour, en faveur de normes précises et contraignantes », indique Benoît de Juvigny, secrétaire général adjoint en charge de la direction des émetteurs de l'AMF.Les pratiques d'évaluation étant par nature compliquées à encadrer, certains évaluateurs penchent plutôt pour une normalisation de la profession. C'est justement la mission du comité professionnel de l'IVSC, présidé depuis octobre par Jean-Florent Rérolle, et qui a récemment soumis à consultation une « Proposition de code d'éthique » et un papier sur la « définition de l'évaluateur professionnel ». Mais même si ces textes devaient être adoptés par les évaluateurs, « qui s'assurera qu'ils sont respectés ? » s'interroge Henri Philippe, associé chez Accuracy. Une chose est sûre, ce ne sera pas le gendarme de la Bourse. « L'AMF a décidé en 2006 de ne plus valider le choix de l'expert financier indépendant dans les offres publiques, préférant un dispositif de déclaration d'indépendance et de création d'associations professionnelles. Nous n'avons pas l'intention d'aller plus loin », précise Benoît de Juvigny, pour qui « l'important est de faire progresser la transparence méthodologique ». Mais pour certains professionnels, cette approche, qui s'apparente à l'autorégulation, a montré ses limites dans l'audit. Dans ces conditions, « on voit mal comment elle pourrait fonctionner pour les évaluateurs, qui ne sont que quelques dizaines et se fréquentent régulièrement », estime un partisan de la manière forte, pour qui « la solution serait de mettre en place un agrément professionnel, en confiant à un organisme indépendant le soin de lister les critères d'accès à la profession ». Certains évaluateurs « pur sucre » s'inquiètent en effet des visées des experts comptables sur leur marché, petit mais très lucratif.
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