Pour une transition vers une vraie politique énergétique

Les gouvernants des années 1950, 60 et 70 ont en effet doté la France du système électrique et gazier sans doute le plus performant d\'Europe : grands barrages, parc nucléaire standardisé, diversité des sources d\'importation de gaz après la perte de l\'Algérie et l\'épuisement de Lacq, réseaux de transport, maillage fin du territoire, tarification au coût marginal de long terme (qui interdisait le transfert de charges sur les générations suivantes), péréquation tarifaire. Les gouvernements analysaient posément les diverses options, puis décidaient. Gouverner, c\'était choisir, ces choix engageaient des masses financières considérables et les gouvernements successifs s\'y tenaient, optimisant l\'utilisation de l\'argent public. Le fil directeur de cette politique énergétique était l\'indépendance nationale ; s\'y sont adjoints l\'aménagement du territoire et l\'égalité devant le service public.Une absence de projet collectif, droite et gauche confonduesAu contraire, depuis les années 90, comme en de nombreux domaines et au prétexte de l\'existence d\'une coordination communautaire, nous avons renoncé à toute vision énergétique nationale de long terme. La planification est indicative (sauf quand les directives européennes imposent l\'inverse), la loi de programme de 2005 est restée déclaratoire, aucun choix structurant n\'a été effectué. Au rythme d\'une loi par an, nous avons surtout freiné le développement de la concurrence et entravé la fixation du prix de l\'électricité et du gaz par le jeu de l\'offre et de la demande. Les décisions gouvernementales sur les tarifs réglementés sont de plus en plus fréquemment annulées par les juridictions, soit pour méconnaissance de la règle élémentaire de couverture des coûts de production ou d\'approvisionnement, soit parce qu\'elles dissimulent les transferts financiers. Les décisions erratiques sur les tarifs d\'achat de l\'énergie renouvelable découragent les investisseurs et anéantissent les PME et TPE qui ont cru en la constance de l\'Etat : on encourage d\'un côté, mais on panique de l\'autre en réalisant soudain le coût de ces incitations financières pour le consommateur. Le tarif éolien est en outre contesté devant la juridiction européenne, pour n\'avoir pas été préalablement notifié par la France à la Commission comme aide d\'Etat. Cette situation découle de l\'absence de projet collectif, Droite et Gauche confondues.La France risque de perdre sur tous les tableauxSi ce énième débat consiste à ménager la chèvre et le chou, à vouloir tout et son contraire (le gaz importé bon marché, et sans même regarder ce que nous avons sous nos pieds), à prendre des mesures symboliques pour satisfaire à la fois les uns et les autres (fermer Fessenheim, ouvrir Flamanville 3), à annoncer une ambition que la vérité des coûts interdit de satisfaire (les énergies intermittentes imposent des investissements en moyens de production classiques et sur les réseaux, incompatibles avec le maintien du coût actuel de l\'électricité pour les ménages), à interdire plutôt qu\'à encourager, à donner un peu à chaque groupe de pression, alors le débat ne servira à rien et la France perdra sur tous les tableaux : elle abandonnera son avantage sur le nucléaire et le pilotage des grands réseaux, elle ne rattrapera pas son retard sur les renouvelables, les réseaux intelligents et l\'énergie distribuée, elle verra son indépendance énergétique reculer, elle progressera plus lentement que les autres en termes d\'efficacité énergétique et de maîtrise de la consommation, elle dispersera en vain ses ressources financières. Tandis que nos vrais concurrents progressent très vite, nous aurons dilapidé notre héritage.Le débat public doit cesser d\'être manichéenInversement, si le gouvernement et le parlement tirent du débat des lignes directrices claires, une ambition industrielle cohérente et réaliste, des choix qui s\'inscrivent progressivement dans l\'échelle de temps de ce secteur très capitalistique (30 à 60 ans, selon les cas), cohérents avec les autres politiques publiques (urbanisme, transports, logement) et avec les moyens financiers que la nation peut y consacrer, alors l\'espoir est permis. Mais décider et se tenir à des priorités de long terme suppose, outre du courage politique, un important effort de pédagogie. Pédagogie sur les coûts : coûts de modernisation des infrastructures existantes, coût respectif des diverses sources d\'énergie (gaz, pétrole) et moyens de production d\'électricité (nucléaire, thermique à flamme, renouvelables), coût de l\'isolation des bâtiments. Pédagogie sur les réalités économiques : report du peak oil avec la hausse des prix, nécessité d\'investir pour moderniser et développer, risques industriels et instruments de leur maîtrise, dépendance à l\'égard de l\'étranger. Pédagogie sur les risques écologiques : s\'il faut faire des efforts et trouver la voie d\'une gouvernance mondiale, il serait absurde que l\'Europe, qui pèse 13% des émissions de gaz à effet de serre, se suicide industriellement pour donner l\'exemple.Le succès de cette pédagogie suppose également que le débat public cesse d\'être manichéen. C\'est infantiliser les citoyens que de ramener ces questions à la lutte du Bien contre le Mal ou d\'annoncer l\'Apocalypse si tel choix était effectué, telle technique employée. La sécurité absolue n\'existe pas, le moyen de production d\'énergie gratuit non plus ; chaque solution a ses avantages et ses inconvénients ; nul n\'est de mauvaise foi. Parlons-en posément et arrêtons des choix stables, cohérents, financièrement supportables, qui soient acceptés par tous une fois votée une grande loi sur l\'énergie.
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