Sang neuf à l'inspection des finances

Café dans le bureau du patron, poignée de main aux futurs collègues, tournée des bureaux, prise de possession du poste de travail, remise du badge d'accès à Bercy en attendant le « séminaire d'intégration » prévu début juin à Dinard : voilà ce mercredi, le programme des énarques de la promotion 2010 qui ont choisi l'inspection des finances après leurs deux années de scolarité.Contrairement à 2009, le ou plus exactement la major de la promotion de l'Ecole nationale d'administration (ENA) ainsi que le suivant ont préféré l'inspection au Conseil d'État ou à la Cour des comptes, les deux autres grands corps qui font traditionnellement fantasmer les apprentis hauts fonctionnaires. Sur les neuf premiers sortis fin mars « dans la botte », c'est-à-dire dans le haut du classement, cinq dont trois femmes ont jeté leur dévolu sur l'inspection, constate avec une fierté non dissimulée Jean Bassères, le patron du service.Depuis janvier, cet ancien secrétaire général de Bercy, qui a appartenu auparavant à des cabinets ministériels sous la gauche, n'a d'ailleurs pas ménagé ses efforts pour convaincre les jeunes énarques de rejoindre ses troupes plutôt que de passer à l'ennemi : tête-à-tête avec la quinzaine d'élèves susceptibles de choisir l'inspection, petits déjeuners « de contact » entre élèves et inspecteurs en activité, rencontre avec d'autres qui ont préféré pantoufler dans le privé comme 55 % du corps et un quart des jeunes inspecteurs après leurs quatre années de présence obligatoire en début de carrière, la « tournée » comme on dit dans le jargon maison... « Ces contacts sont l'occasion de tordre le cou aux idées fausses, comme dire que l'on choisit l'inspection pour finir banquier d'affaires », explique Jean Bassères. Mais officiellement, pas question à ce stade d'évoquer le montant des coquettes primes qu'empocheront les futurs inspecteurs ou l'utilité de passer par un cabinet ministériel pour booster sa carrière... Des sujets presque obscènes pour qui s'apprête à devenir un serviteur de l'État.Le choix des énarques 2010 conforte l'image de l'inspection alors que le gouvernement a programmé pour 2012 la disparition du bon vieux classement de sortie de l'ENA qui servait aussi à établir la cote officieuse de chaque administration. Ce choix permet également à Jean Bassères de répondre à ceux qui affirment le corps en perte d'influence ces dernières années, victime à la fois de la cure d'amaigrissement de l'État et de la crise financière. Sans parler d'affaires plus anciennes comme les déconfitures du Crédit Lyonnais ou de Vivendi dans lesquelles se sont « illustrées » plusieurs figures du corps...Quoi qu'on en dise, l'inspection a encore de beaux restes. Ses membres savent toujours récupérer les postes stratégiques. Antoine Gosset-Grainville a ainsi quitté, jeudi, la direction adjointe du cabinet de François Fillon pour devenir le numéro deux de la Caisse des dépôts, un poste hautement convoité de tout temps. Sébastien Proto, le directeur de cabinet d'Éric Woerth, a suivi son ministre de Bercy à Grenelle où il va être l'un des acteurs privilégiés de la réforme emblématique des retraites. Depuis mars, Stéphane Richard, qui a dirigé le cabinet de Christine Lagarde, est devenu le patron opérationnel de France Télécome;lécom. Et la direction de l'Assistance publique de Paris, le premier groupe hospitalier européen, pourrait échoir à Thierry Bert, ancien patron de l'inspection. Quelques mois auparavant, le corps avait réussi à placer trois des siens dans la commission chargée de réfléchir aux priorités du grand emprunt. Cette commission était elle-même présidée par deux anciens de la maison, Michel Rocard et Alain Juppé.L'inspection connaît suffisamment les arcanes de l'État pour être aux bons endroits. Et pour passer entre les gouttes : alors que l'Élysée impose à toutes les administrations le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, la règle ne s'applique pas ici ! Raison invoquée : les inspecteurs des finances seraient juste assez nombreux pour effectuer la centaine de missions que leur assigne chaque année l'État. « On n'a pas de programme préétabli, on doit pouvoir répondre aux commandes », se justifie l'un d'eux. Pour montrer qu'elle apporte quand même sa contribution à la réduction des dépenses publiques, l'inspection se contentera de supprimer quelques postes parmi la vingtaine de « fonctions support » mis à sa disposition.À ce point débordés, les inspecteurs des finances ? Il est vrai que sur les 250 membres du corps, seuls 90 dont 40 inspecteurs généraux y sont présents. Les autres ? Partis dans les cabinets ministériels, en poste dans d'autres administrations ou à la direction d'entreprises ou d'établissements publics. À moins qu'ils ne bénéficient, comme 66 d'entre eux, d'une « disponibilit頻, pour faire profiter le privé de leurs talents. Sans parler des 40 inspecteurs qui ont carrément claqué la porte de l'inspection pour poursuivre leur carrière dans le privé.Pour compenser ces défections tout en tentant d'attirer du sang neuf, un nouveau statut a été élaboré en 2006 par Jean-Pierre Jouyet, alors patron de l'inspection, et mis en musique par Jean Bassères, qui lui a succédé en 2008. L'objectif était également de casser l'image d'un corps trusté par les fils de famille et replié sur lui-même en l'ouvrant à des fonctionnaires ayant une expérience professionnelle. Voire à des cadres du privé ! Le résultat est positif puisqu'un inspecteur sur quatre en fonction aujourd'hui dans le corps est un fonctionnaire détaché d'une autre administration. Et l'inspection générale des finances est moins formatée puisque la moitié de ses membres n'est pas sortie du moule de l'ENA contre moins d'un quart il y a dix ans.Mais cette ouverture a ses limites. Si les nouveaux arrivants ont bien droit, comme les énarques sortis « dans la botte », au titre d'inspecteur des finances, tout le monde sait dans la haute fonction publique qui a fait le parcours initiatique pour intégrer la caste et qui n'y est parvenu que par une voie détournée. Quant à l'ouverture au privé, seuls deux salariés de cabinets d'audit ont rejoint l'inspection pour quelques années. Et de toute manière, ils n'ont aucune perspective d'y faire carrière puisque le statut général de la fonction publique leur interdit d'être intégrés à l'issue de leur contrat...Patrick CoquidéIci, la règle édictée par l'Élysée selon laquelle un fonctionnaire sur deux partant à la retraite n'est pas remplacé ne s'applique pas !90 inspecteurs sont en fonction à l'Inspection dont 40 inspecteurs généraux.150 sont en poste dans l'administration ou les entreprises publiques.66 sont en disponibilité dans le privé (pour dix ans maximum).40 ont démissionné pour exercer dans le privé.21 % des effectifs sont des femmes contre 12 % il y a dix ans.
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