Taxe carbone  :   les entreprises s'inquiètent

Être efficace sans tuer le patient. Le principe du vaccin s'applique aussi à la taxe carbone : modifier les comportements sans détruire la compétitivité des entreprises. Dans la cacophonie qui enfle et divise la classe politique française, on les entend encore peu. Certes, les plus gros émetteurs de CO2 (producteurs d'énergie, cimentiers, papetiers, sidérurgistes, etc.), soumis au système des quotas d'émissions dans le cadre de l'EU ETS (European Emissions Trading Scheme) instauré par l'Union européenne depuis 2005 et qui concerne quelque 11.000 sites industriels français, ne seront pas affectés. Mais d'autres secteurs, pas (encore) soumis au système des quotas, mais fortement consommateurs de carburant, sont directement concernés, notamment les agriculteurs et les transporteurs routiers. « La TIPP ? taxe intérieure sur les produits pétroliers ? représente déjà près de 50 % du coût du gazole et la taxe kilométrique appliquée aux poids lourds, adoptée fin juillet, pèse environ 1,2 milliard d'euros », rappelle le délégué général de la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR), Nicolas Paulissen. Pas question d'accepter une taxe de plus, même si, au passage, Nicolas Paulissen remarque que la taxe carbone serait plus simple à appliquer que la taxe kilométrique.allégementÀ propos de la neutralité fiscale promise par le gouvernement, d'aucuns évoquent la « suppression » de la taxe professionnelle. « Ce qui est prévu, c'est une réforme de cette taxe, en effet complexe et pas toujours équitable, et non pas une suppression pure et simple », nuance Anne Lapierre, avocate associée au cabinet Norton Rose. Cet allégement est estimé à 6 milliards d'euros, soit trois fois plus que les recettes de la taxe carbone calculées sur la base d'une tonne de CO2 à 15 euros. Les entreprises craignent donc qu'il n'y ait pas d'autre compensation, malgré la réduction des charges patronales évoquée. « Mais on ne peut pas considérer l'économie dans sa globalit頻, souligne le président fondateur de la société de conseil Weave, Didier Rousseau. « En revanche, si l'on est à fiscalité constante, autant fixer un prix susceptible de modifier vraiment les comportements. »Un point fait l'unanimité : impossible d'établir cette taxe à l'échelle franco-française, sous peine de distorsions de concurrence. Le principe d'une taxe aux frontières, évoqué par Nicolas Sarkozy, est rejeté par le président de la Commission européenne et serait d'une rare complexité. « Aujourd'hui, on ne parle que de l'énergie consommée, souligne Didier Rousseau. Mais évaluer l'intensité en carbone d'un produit importé suppose de prendre en compte son mode de production, le mix énergétique du pays d'origine, etc. » Même en France, comment faire ce calcul selon l'heure de consommation de l'électricité (essentiellement nucléaire sauf lors des pics de consommation, qui mettent les centrales thermiques à contribution) ? Les distributeurs implantés à la sortie des villes seront-ils responsables du CO2 émis par leurs clients pour se rendre dans les hypers ? La taxe pourrait-elle être transférée des transporteurs routiers vers les constructeurs de camions ? « Lorsqu'on abordera les processus de production, on verra les entreprises certainement plus incisives sur cette quantification d'émissions », prédit Didier Rousseau.Mais la mise en place de la taxe pourrait aussi être l'occasion d'accroître la compétitivité des entreprises françaises. « Les engagements européens pris à l'horizon 2020 auront un coût quoi qu'il en soit, rappelle Anne Lapierre. Aussi, les entreprises qui consentent des investissements dès aujourd'hui pourraient bénéficier d'une situation très compétitive par rapport à leurs concurrents européens. » À condition que les recettes de la taxe soient directement affectées à la R&D des éco-industries, « sur un principe similaire à celui du crédit d'impôt recherche », préconise Dan Vogel, fondateur d'Enablon, leader mondial des solutions de gestion des risques environnementaux. Plutôt qu'au comblement du trou dans des caisses de l'État.
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