Un thermomètre peut-il mesurer le bien-être  ?

oint de vue Florin Aftalion Professeur émérite à l'Essec.La Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, chargée par le président Sarkozy de proposer de nouvelles mesures du bien-être collectif destinées à se substituer au produit intérieur brut (PIB), vient de rendre un imposant rapport. Comme on pouvait s'y attendre, il condamne le « fétichisme » du PIB et cherche à promouvoir des indicateurs prenant en compte le bonheur des populations et le bien-être des générations futures. À ce sujet, trois remarques paraissent opportunes.Première remarque : personne n'a jamais prétendu que le PIB mesure le bien-être collectif. Par définition, la production nationale n'est que la somme des valeurs ajoutées de tous les biens et services produits dans une économie au cours d'une période donnée. Cette somme est égale au total des coûts des ressources utilisées. La production nationale est ainsi égale à la rémunération des facteurs de production, qu'il s'agisse de travail ou de capital, c'est-à-dire au revenu national. Donc, si l'on veut que les salaires augmentent, que les retraites soient assurées à une population vieillissante, que la santé des Français soit en constante amélioration, autrement dit que les revendications des citoyens soient satisfaites, il faut que le PIB augmente régulièrement.Bien sûr, les insuffisances du produit national (ou de ses variations) en tant que mesure de la croissance économique sont connues depuis longtemps : il ne tient pas compte des effets externes de la production sur l'environnement, il traite de façon identique productions nouvelles et réparations de dommages, il ignore le travail au noir et le travail domestique non rémunéré (celui des femmes au foyer), etc. Mais le PNB ne mesure pas non plus les progrès d'une population dans la lutte contre les souffrances et les maladies ou la réduction des inégalités.Il s'ensuit que, pour analyser le bien-être d'un pays, il est nécessaire de disposer, à côté du PIB, d'autres indicateurs. Heureusement, des institutions spécialisées en publient de très nombreux. Il s'agit non seulement de mesures économiques (chômage et inflation, par exemple), mais aussi d'autres, très diverses, telles qu'espérance de vie, mortalité infantile, violence ou taux d'alphabétisation.Dès lors, et c'est ma seconde remarque, est-il nécessaire d'en combiner certains en indicateurs composites comme le préconise le rapport Stiglitz ? Le codirecteur du projet, Amartya Sen (également Prix Nobel), a mis au point un indice composite dit de « développement humain ». Il est calculé en faisant la somme de l'espérance de vie moyenne, du niveau d'éducation (deux tiers de taux d'alphabétisation et un tiers de taux de scolarisation) et du logarithme du pouvoir d'achat par tête. Ces pondérations sont évidemment arbitraires. Or, les changer modifierait la valeur de l'indice, son évolution et les comparaisons internationales auxquelles il est destiné. Un nouvel indicateur du bien-être humain gagnerait encore en arbitraire si une dimension écologique lui était ajoutée. Celle-ci ne pourrait résulter que d'un mélange de plusieurs mesures qu'aucune règle ne permet de retenir ou de rejeter et ensuite de pondérer autrement qu'arbitrairement : émissions de gaz carbonique, pureté de l'air, valeur des OGM produites par habitant, souillure du littoral, etc. Ou, si étaient pris en compte des indices « politiquement incorrects » comme le « tax misery index » (qui mesure l'effet de la fiscalité sur le bien-être des individus) ou l'indice des libertés économiques (« index of economic freedom »). Notons en passant que, à l'aune de ces deux indices, la France est très mal classée. Faisant fi des difficultés, le rapport Stiglitz ambitionne de mesurer carrément le bonheur des gens. Ce qui m'amène à ma troisième remarque. Le bonheur fait aujourd'hui l'objet des travaux de nombreux économistes de talent (tel Daniel Kahneman, autre Prix Nobel, membre de l'équipe du professeur Stiglitz). Malheureusement, leurs recherches se heurtent à un obstacle, à mon avis infranchissable : la signification réelle des soi-disant mesures qu'ils mettent en ?uvre. Comme les chercheurs du domaine suivent des voies différentes, il n'est pas étonnant que leurs conclusions divergent et qu'ils soient en désaccord sur les facteurs « explicatifs » du bonheur. Ce qui ne devrait pas empêcher les experts du président Sarkozy de proposer leur mesure du bonheur national brut (BNB). D'ailleurs, dans un pays, le Bhoutan, la recherche du BNB est déjà l'objectif prioritaire du gouvernement. Ce qui l'a conduit à supprimer le feu rouge du pays (pour que les automobilistes ne soient pas frustrés par l'attente de son passage au vert) et à interdire toute publicité (le consumérisme altère les traditions). Ah ! Si seulement les hommes des cavernes avaient pu mesurer leur bonheur. n
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