Survivre à la mort de son enfant. Le sujet a, ces derniers temps, beaucoup inspiré les écrivains. Jusqu'à susciter l'une de ces polémiques incompréhensibles hors du landerneau germanopratin. On se souvient que Camille Laurens, l'auteur de « Philippe » accusait en 2007 Marie Darrieussecq de « plagiat psychologique » pour son livre « Tom est mort ». Mais de tous ces récits ou romans, le bouleversant « les Vies extraordinaires d'Eugène » d'Isabelle Monin est incontestablement le plus original autant par sa forme que sur le fond. Car le narrateur imagine, ici, tel un historien travaillant à rebours, la vie qu'aurait eue son enfant.« Notre fils est né le 17 novembre 2007. Il est mort le 23 novembre de la même année » raconte donc son père. Depuis, la mère de l'enfant ne parle plus « parce qu'il n'y a plus rien à dire ». Alors son mari prend la plume. Il commence par évoquer les sept jours de vie de son bébé, s'en va ensuite interviewer les personnes qui l'ont connu. Une fois ce travail accompli, il se rend à la crèche où Eugène aurait été inscrit et récupère la liste de ses futurs copains de classe. Si la douleur desparents éclate à chaque page, il n'y a cependant pas une once de pathos là-dedans mais plutôt une tendresse folle, et cet humour du désespoir qui éclate à intervalle régulier telle une bulle. L'auteur, grand reporter au « Nouvel Observateur », s'est même choisi un narrateur masculin pour éviter toute forme d'identification. Elle mène son livre sous forme de journal intime, opte d'abord pour une écriture épurée, factuelle avant de l'enrichir de la vie supposée d'Eugène. Avec une extraordinaire justesse, elle raconte la souffrance, le désarroi, la maladresse de ceux qui ne se rendent pas comptent que leurs paroles loin d'aider, anéantissent. La mort est ici omniprésente. La vie aussi. Et si le livre prend aux tripes, jamais il ne plombe parce que touché par la grâce.Yasmine Youssi « Les Vies extraordinaires d'Eugène », d'Isabelle Monnin, éditions JC Lattès, 234 pages, 17 euros.

latribune.fr

06 Déc 2010, 23:24

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