L'Europe peut-elle vaincre la spéculation ?

La zone euro peut-elle endiguer la crise de la dette ? La question s'est brutalement reposée lorsqu'il est devenu évident que l'accord sur le plan d'aide à l'Irlande ne parviendrait pas à stabiliser les marchés. Le pessimisme des analystes s'est sensiblement accru : la contagion à des pays aussi importants que l'Espagne et l'Italie est presque donnée pour une évidence. Devant cette débâcle annoncée, les États semblent impuissants, réagissant toujours avec un coup de retard. Une surenchère aux accents millénaristes annonce la fin de l'euro, le démantèlement de l'Union européenne, bref la faillite du continent.Paradoxalement, la zone euro dans son ensemble a un déficit et une dette publique inférieurs à ceux des États-Unis. Elle dispose d'une monnaie internationale crédible. Si elle constituait un ensemble réellement intégré politiquement et économiquement, sa situation ne créerait pas tant d'inquiétude. Mais les divergences économiques et politiques apparues au cours des dernières années, la lenteur et le manque de simplicité d'un système de décision, l'absence de leadership clair et, enfin, les infractions répétées aux règles collectives ont limité la crédibilité des engagements européens. L'incertitude qui en résulte alimente les doutes sur la capacité des décideurs à prendre les mesures nécessaires.Dès lors, les marchés spéculent sur la dette des États les plus affaiblis. Ils achètent des « credit default swaps » (CDS), qui sont des produits d'assurance contre le risque de défaut, et parient sur la hausse de ce risque. Lorsque le risque de défaut perçu par les marchés, et donc les intérêts payés par les États s'accroissent, la valeur des CDS augmente et leurs détenteurs s'enrichissent. Le risque est pour eux limité à court terme puisque les États de la zone euro ont annoncé qu'ils feraient tout pour empêcher un défaut (au moins sur la dette émise avant 2013) et qu'ils sont prêts à prendre le relais des investisseurs privés. En outre, la valeur des CDS est scrutée comme un indicateur du risque souverain. Dès lors, la « bulle » des CDS est autoréalisatrice : une hausse de leurs prix conduit à une hausse du risque perçu, souvent renforcée par des rumeurs, et alimente en retour les achats de CDS. Des profits considérables peuvent être ainsi réalisés aux frais des États.Comment mettre un terme à cette spirale destructrice ? Tous les instruments disponibles doivent être mobilisés. Première mesure, la régulation financière devrait imposer aux détenteurs des CDS sur les obligations d'État de détenir la dette sous-jacente : il ne doit pas être possible de « s'assurer » contre un risque auquel on ne s'expose pas pour des motifs spéculatifs. Deuxième mesure, la solidarité budgétaire doit se manifester par la création d'un Fonds monétaire européen qui rende permanent le Fonds de stabilité financière tout en prévoyant les modalités d'un défaut ordonné. En cas d'aggravation de la crise, ce fonds pourrait également se voir confier la tâche d'émettre une dette senior (dont le remboursement se fait prioritairement par rapport au reste de la dette) commune à l'ensemble de la zone euro.Troisième mesure, la Banque centrale européenne devrait confirmer la poursuite de ses achats de titres de dette des États en difficulté, même à un rythme prudent. Il s'agit de ne pas laisser les acteurs financiers dans l'incertitude quant à la ligne de l'institution sur ce sujet. Quatrième mesure : rétablir la confiance quant à la solidité des banques. Les « stress tests » de l'été ont perdu toute crédibilité et l'incertitude est à nouveau totale quant à l'exposition réelle des banques européennes. Un audit et un plan de recapitalisation des banques les plus risquées devraient être mis en oeuvre rapidement au niveau européen. Enfin, l'Union européenne doit redonner confiance dans la possibilité d'investir et de disposer de perspectives de croissance en Europe. Elle doit donc se doter d'une stratégie d'investissement, combinée aux réformes structurelles nécessaires pour redresser la compétitivité de certains États membres, qui protège l'investissement public des mesures d'austérité, renforce le rôle de la Banque européenne d'investissement, et mobilise les instruments communautaires pour soutenir l'investissement dans les pays les plus en difficulté.En dépit des difficultés actuelles, le pessimisme ambiant ne doit pas occulter les raisons d'espérer. Par une sorte de ruse de l'histoire, la crise actuelle est en train de pousser à une fédéralisation croissante de la politique économique européenne. Le Fonds de stabilité financière créé en mai n'est rien d'autre qu'un mécanisme par lequel certains États empruntent sur les marchés pour le compte d'autres États en difficulté. Les conditions rigoureuses qui y sont associées limitent de facto la souveraineté des États bénéficiant des plans d'assistance. D'autre part, la crise a renforcé le rôle d'une institution de nature fédérale, la BCE, dont seul le rôle de prêteur en dernier ressort semble de nature à rassurer les marchés. Enfin, les États membres, sous la pression de la crise, ont posé les bases d'une supervision macroéconomique et financière élargie.La spéculation pousse la zone euro vers le fédéralisme économique. On aurait préféré plus belle naissance. Mais c'est dans les crises que l'histoire s'accélère. Espérons que les décideurs européens sauront en influencer le mouvement plutôt que seulement le suivre.(*) Thierry Chopin est directeur des études de la Fondation Robert Schuman, professeur au Collège d'Europe (Bruxelles) et Jean-François Jamet est porte-parole d'EuropaNova.Par Thierry Chopin et Jean-François Jamet (*)
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