Les méandres de la succession Santander

Depuis le 1er décembre, Ana Patricia Botín a pris les commandes de Santander UK, la filiale britannique de la banque espagnole. Elle remplace Antonio Horta-Osório, débauché par Lloyds. Le secteur l'attend au tournant... et pas seulement parce qu'elle est l'une des rares femmes à s'imposer à la City. Sa condition de potentielle héritière de l'empire Santander fait d'elle le centre d'attention de ses pairs et de la presse financière.Ana Patricia Botín - « botín » signifie « butin » en espagnol - porte un nom prédestiné pour la finance. Emilio Botín, son père, est le président, depuis 1986, de Banco Santander, la plus grande banque d'Espagne, la première de la zone euro en termes de capitalisation boursière. En pleine tourmente financière, Santander semble ne pas connaître de limites, achetant tout ce qui paraît comestible à son appétit investisseur : Zachodni en Pologne (près de 4 milliards d'euros), la banque de détail de SEB en Allemagne (555 millions d'euros), 318 agences de RBS au Royaume-Uni (1,9 milliard d'euros), entre autres... Les achats de Santander en 2010 impressionnent.Après la consolidation du groupe en Espagne à travers l'acquisition de Banesto (1994), la fusion avec Banco Central Hispano (1999), et une politique agressive de rémunération des dépôts à la fin des années 1980, la diversification géographique a été renforcée depuis dix ans. Cette stratégie est d'autant plus justifiée alors que le marché espagnol est grevé par la crise immobilière. Selon les analystes, l'exposition à l'Espagne explique d'ailleurs la baisse de 32 % du prix des actions du groupe depuis le début de l'année, accentuée par la crise de confiance des marchés à l'égard du pays et de son secteur financier ces dernières semaines.Au sein de cette stratégie, la Grande-Bretagne tient un rôle clé. D'abord, parce que, grâce à plusieurs acquisitions (Abbey National en 2004, Alliance & Leicester et Bradford & Bingley en 2008), la filiale britannique apporte, au troisième trimestre 2010, 18 % du bénéfice net, en baisse de 26,4 % à cause, notamment, d'une nouvelle norme comptable en Espagne. C'est désormais la deuxième filiale derrière le Brésil, mais devant l'Espagne. Ensuite, parce qu'Emilio Botín Ríos a toujours parié sur le Royaume-Uni : une de ses premières opérations à l'international fut un échange de participations avec RBS en 1988. Enfin, parce que « le désir du président est de faire des Botín la famille la plus importante des finances mondiales. Pour cela, il faut passer par les États-Unis. La Grande-Bretagne en est la porte d'entrée », estime Kimio Kase, professeur à l'IESE Business School, et coauteur, avec Tanguy Jacopin, du livre « CEOs as Leaders and Strategy Designers : Explaining the Success of Spanish Banks » publié en 2007. Le rêve américain de Santander a commencé à prendre forme en 2008 via l'acquisition de Sovereign.Dans ce cadre, confier la filiale britannique à Ana Patricia Botín revient presque à lui livrer l'avenir de la banque. Cette quinquagénaire connaît bien le monde anglo-saxon : formée à l'université américaine de Brin Mawn, puis à Harvard, elle a fait ses premiers pas dans la banque chez JP Morgan, où elle reste sept ans, de 1981 à 1988.La fille aînée d'Emilio Botín va devoir conduire l'introduction en Bourse de 20 % de la filiale britannique au premier semestre 2011, et gérer l'intégration au groupe des agences de RBS. Elles permettront à Santander UK de représenter 8 % du marché des PME, lui qui possède déjà 9,2 % du marché des dépôts.Ana Patricia Botín n'aura pas trop de son expérience pour y arriver. Après avoir fait ses classes au sein de la maison mère, de 1988 à 2000, elle devient présidente de Banesto, filiale espagnole du groupe, en 2002. Elle y réalise avec succès l'ouverture au marché de l'entité et son repositionnement dans la banque de détail. Banesto n'a néanmoins pas été épargnée par la crise. Entre 2007 et 2009, son bénéfice est passé de 765 millions d'euros à 560 millions d'euros. Le taux de créances douteuses, de 0,47 % en 2007, a grimpé, pour se retrouver actuellement à 3,80 %, au-dessous toutefois de la moyenne du secteur, de 5,6 %.Ce parcours fait d'elle une sérieuse candidate à la succession d'Emilio Botín. D'aucuns, comme Jesús Salgado, auteur du livre paru en 2010 « Botín, tout pour la banque, histoire d'une saga », pensent toutefois que son frère, Javier Botín, pourrait aussi prétendre à la succession. Comme Ana Patricia, il est membre du conseil d'administration. En 2009, il s'est séparé de son associé, le mari d'Ana Patricia Botín, dans la société de courtage M&B Capital Markets, affectée à hauteur de 152 millions d'euros par l'affaire Madoff. Javier Botín est maintenant à la tête de JB Capital Markets. Pendant ce temps, le frère d'Emilio Botín, Jaime, prend du poids dans une autre banque espagnole, Bankinter, avec 24 % du capital. Crédit Agricolegricole le suit avec 23,4 %. Son fils, Alfonso Botín, neveu d'Emilio, est depuis octobre vice-président exécutif de Bankinter.Quel que soit le successeur de Botín, l'héritage sera lourd. Sous la présidence d'Emilio, l'établissement est passé du statut de banque espagnole modeste à celui de géant international. Le bénéfice du groupe, de 2,2 milliards d'euros en 2000, culmine à près de 9 milliards en 2009. Une croissance trop fulgurante pour être solide ? « Santander ne se contente pas d'acheter à l'étranger. Elle exporte aussi son modèle de gestion. Les entités achetées en sortent plus solides », affirme Eduardo Martínez Abascal, économiste à l'IESE Business School.Le marché spécule sur le successeur de Botín, mais c'est au conseil d'administration qu'appartient de désigner le président. Or, les Botín, selon les sources du secteur, ne possèdent qu'environ 2,5 % du capital de Banco Santander. Oui, mais : « Le capital est très dispersé, ce qui fait que le poids des Botín reste assez important », estime Eduardo Martínez Abascal. Les deux principaux actionnaires de la banque possèdent chacun environ 5 % du capital. En outre, « on pense souvent que Santander est une banque familiale. Il serait donc naturel qu'elle reste dirigée par la famille », analyse Kimio Kase.Dans les faits, Santander n'est pas une banque familiale. Fondée en 1857, elle n'a accueilli le premier Botín qu'à la fin du XIXe siècle. Le grand-père d'Emilio Botín en a été président permanent de 1920 à 1923, après avoir occupé la présidence tournante en 1909, selon Salgado. Son père reprend le flambeau en 1956. Trente-six ans plus tard, c'est Emilio Botín qui prend la suite. Plusieurs sources du secteur conviennent qu'Emilio Botín ne semble pas près de lâcher le gouvernail. La succession s'annonce donc longue et incertaine.
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