Régulation et taxation des banques  : où va-t-on  ?

Il ne faut pas accentuer le clivage entre réglementation et taxation. Parce que toute réglementation bancaire ? le ratio de solvabilité, les règles de liquidité ou de division des risques, etc. ? peut formellement s'interpréter comme une taxe implicite sur les banques, représentant les coûts d'opportunité engendrés. Qu'elles soient implicites ou explicites, les taxes soulèvent deux grandes questions. Qui, en définitive, les paie ? Les banques auraient-elles, en fonction de la concurrence, les moyens de refiler le mistigri, c'est-à-dire une taxe spéciale sur les opérations financières, à leurs clients (augmentation des taux sur les crédits, recul des taux sur les dépôts, etc.) ? Et seconde question, comment éviter les distorsions de concurrence et faire respecter le fameux « level playing field » ?L'impact de la crise sur la réglementation prudentielle des banques s'annonce multiforme : plus de fonds propres, des règles moins déstabilisantes (moins « procycliques ») avec le passage à des provisions dynamiques, la prise en compte du coefficient de levier (utilisé aux États-Unis), l'adoption de nouvelles règles de liquidité... On aurait presque le tournis ! Surtout, le Conseil de stabilité financière va devoir tester la cohérence de tout cela. Ce qui est bon dans la durée ne l'est pas pour les prochains mois : durcir à très court terme les ratios de solvabilité des banques ne ferait qu'accentuer les pressions sur le crédit et freiner la reprise...Il est des réglementations bancaires plus structurantes que les autres. Ainsi, ce qui se joue sur la redéfinition possible des activités des banques est sans doute plus déterminant pour l'avenir que les bonnes intentions à propos des rémunérations et bonus. En proposant une version « light » du Glass-Steagall Act, moins sévère que le texte de 1933, mais qui limite les possibilités pour les banques américaines de spéculer, le président Obama à la fois flatte l'opinion publique et oblige les banquiers à tirer des leçons de la crise. Reste à savoir si le Congrès suivra. Compte tenu de la globalisation et des nouvelles technologies, facilitant les contournements, il sera plus compliqué de faire respecter ce type de cantonnement que dans les années 1960. En outre, les contraintes de concurrence sont telles que je ne crois pas au retour d'un Glass-Steagall Act, même édulcoré, dans un seul pays. Le débat devra être posé au G20.Un cantonnement partiel des activités des banques ne serait pas sans conséquence sur leur taille, mais il ne réglerait pas les défis du « too big to fail », principe qui a piégé une fois de plus les pouvoirs publics (sauf pour Lehman Brothers, avec les conséquences que l'on sait). J'anticipe ici un conflit entre la logique industrielle, poussant à la concentration, et la logique réglementaire visant à contrecarrer voire inverser le mouvement. Et la première pourrait l'emporter sur la seconde... Quant à la taxation des banques ou des opérations financières, elle revient à l'ordre du jour à travers deux arguments : dégonfler la sphère financière (proposition de Lord Turner, le patron de la FSA britannique) ; faire payer par les banques, non pas par les contribuables, le coût de leur sauvetage en cas de faillites et de risque systémique. L'assiette serait plus large que la taxe Tobin (imaginée pour les opérations de change), mais l'esprit est voisin. Il y a dix ans, les conditions politiques pour une telle taxe n'étaient pas réunies, car de nombreux pays n'auraient pas joué le jeu. La crise actuelle crée un soutien politique large pour une taxe Turner. Au G20 de l'étudier et de la proposer à l'ensemble des pays, sachant que la fenêtre de tir ne va pas durer longtemps. Restera aussi à aborder un problème connexe, l'articulation d'une telle taxe et des systèmes d'assurance des dépôts.On l'aura compris, il faut combiner régulation et taxation, en cherchant un large consensus via le G20. L'Europe doit-elle montrer la voie ? C'est ce que suggère Jaime Caruana, le directeur de la Banque des règlements internationaux (BRI), à propos de la taxe sur les banques. En 2008-2009, l'Europe a été la force de proposition dans le G20, et elle a intérêt à le demeurer. En même temps, celui qui montre la voie court le risque de n'être pas suivi, et de se mettre ainsi un boulet au pied... Aux instances européennes de se frayer un chemin entre la tentation de l'avant-garde et l'écueil de la naïveté.Point de vue Christian de Boissieu Président du Conseil d'analyse économique, conseiller économique de la CCIP.
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