Quand les moyens voient leur fin

Voilà un livre marxiste, au sens le plus noble que peut avoir l'épithète : le mode de production des richesses et les chocs technologiques déterminent l'organisation de la société et le système de valeurs qu'elle produit, explique le journaliste Jean-Marc Vittori (éditorialiste au quotidien « Les Échos »), dans « l'Effet sablier », un essai cristallin. Ainsi, la révolution industrielle et le fordisme ont consacré l'essor des classes moyennes, tandis que la révolution de l'information va les faire disparaître. À la première, la société en pyramide et la lutte des classes ; à la seconde, une société en sablier et la compétition des individus, qui nourrit un sentiment d'anxiété et de déclassement. Car la partie basse du sablier est plus ventrue que celle du haut, et les grains de sable tombent de haut en bas.Si les technologies de l'information ont ainsi bouleversé l'organisation sociale, c'est parce que l'ordinateur donne davantage de puissance au cerveau. Il exalte et valorise la différence de compétence ? fût-elle faible ? entre les individus, alors que la machine industrielle nivelait au contraire les aptitudes, renforçant la solidarité de classe et libérant des gains de productivité uniformément distribués. La démocratie chahutéeCette société plus inégalitaire a transformé les entreprises, qui ont, elles aussi, aplati leur hiérarchie en supprimant leurs « classes moyennes » de managers, pour répondre à un acheteur tyrannique qui ne se reconnaît plus dans la consommation de masse et évite désormais le milieu de gamme. Ultime conséquence de cette universelle « fin du milieu », la bonne vieille démocratie est mise à l'épreuve ? le citoyen lambda n'était-il pas l'homme moyen par excellence ? ? au profit de nouvelles formes de participation des individus à la décision publique. C'est tout l'héritage du fordisme, y compris politique, qui se trouve ainsi dévalué.En ces temps où les naïfs s'imaginent refonder le capitalisme, Vittori prévient : les classes moyennes vont disparaître, le mouvement est irrépressible. Pessimisme excessif ? Non, répond l'auteur, car le sablier qui dessine le corps social est souple. Il ne tient qu'à nous de le modeler, par l'action individuelle et collective, pour développer sa partie haute. Un livre qui rend intelligent, parce qu'il donne du sens à l'actualité chahutée de nos sociétés. François Lenglet « L'Effet sablier », par Jean-Marc Vittori. Éditions Grasset (116 pages, 9 euros).
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