Laurent Fabius : « La peinture a contribué à dessiner l'image de la France »

C'est un Laurent Fabius méconnu qui nous a reçu pour parler de son dernier ouvrage « Le Cabinet des douze » (Editions Gallimard). Manifestement, la peinture permet à l'ancien Premier ministre d'apparaître sous un nouveau jour... Plus détendu. Plus intime, aussi, lorsqu'il évoque sa famille. Fabius porte sur l'histoire de l'art un regard politique et social qui rend son analyse passionnante. Et prend visiblement un plaisir manifeste à présenter avec passion et une grande érudition les oeuvres qui, selon lui, ont contribué à « faire la France ». Vous évoquez en ouverture de votre livre les visites que vous imposait votre père au Louvre. A quoi ressemblaient-elles ?C'était une épreuve, chaque dimanche et dès l'âge de 9 ans. Mon père avait beau être un puits de science, ces visites trop systématiques m'étaient pénibles. Vers 14-15 ans, j'ai dit « non ». Avec une sorte de blocage envers la peinture et la sculpture pendant 15 ans. J'y suis progressivement revenu grâce à mes amis, à mes voyages, à mes lectures et à une curiosité d'esprit et de coeur permanente.« Le Cabinet des douze », est-il un livre sur la peinture ou sur la France ?Les deux. Au départ, je comptais décrire mon musée imaginaire. Peu à peu, j'ai élargi la perspective en m'interrogeant sur la façon dont la peinture contribue à dessiner l'image de notre pays. J'ai alors repris mes choix, éliminé certaines oeuvres pour les remplacer par d'autres. C'est donc un livre sur la peinture, accessible aux spécialistes comme aux débutants, mais qui apprend beaucoup sur la France. Je me suis attaché à éviter toute vision politicienne, car je me méfie des confusions entre politique et peinture. On a vu les catastrophes que cela pouvait produire.Comment avez-vous choisi les douze thèmes abordés ?J'ai commencé par le chapitre sur l'« Ailleurs », où je compare les oeuvres marocaines de Delacroix et de Matisse. Ensuite, j'ai traité le thème de l'« Impertinence », qui caractérise le XVIIIe siècle, à partir d'un pastel de Voltaire par Quentin de la Tour. Puis j'ai plongé dans l'« Impressionnisme », si prégnant à la fois pour nos peintres et pour l'image de la France. Afin de respecter l'ordre chronologique, j'ai modifié tout cela et consacré mon tout premier chapitre à la notion de « peuple », évoquée notamment par « La forge » des frères Le Nain. À y regarder de près, le peuple, surtout le peuple « industriel » est peu présent dans notre peinture. J'essaie d'expliquer pourquoi j'aborde beaucoup d'autres thèmes, notamment de la guerre, depuis le XVIIe siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, en insistant sur la difficulté de la France à assumer ses propres épreuves.Vous évoquez dans votre livre les peintres étrangers qui ont contribué à dessiner l'image de la France...Oui, a travers Picasso, Van Gogh, Chagall, d'autres, j'ai voulu montrer qu'il existe des tendances, des tropismes nationaux, mais que l'essentiel en art est le brassage, l'ouverture vers l'autre, vers le monde.Parlant d'identité nationale, vous êtes né en 1946 dans une famille marquée par la dernière guerre...C'est exact mais on ne parlait guère à la maison de ce qui s'était passé. Probablement à cause de la peur que « ça » recommence. Ma famille avait l'idéal républicain chevillé au corps. J'ai retrouvé une lettre émouvante de mon grand-père, antiquaire, aux autorités de Vichy qui le spoliaient de tous ses biens. Elle est étrangement respectueuse. À ses yeux, la France ne pouvait mal faire. Revenons à la notion de peuple. Est-ce à travers la peinture que vous avez commencé à « forger » vos connaissances sur les milieux populaires?Non. En 1976, j'ai commencé à travailler auprès du maire d'une commune ouvrière de Normandie, Grand Quevilly, où, depuis, j'ai fait complètement souche. C'est à son contact quotidien et à celui des habitants de ma circonscription que j'ai pu nouer cette connaissance intime des milieux populaires.La passion de la peinture nécessite, selon vous, « le goût du temps et l'amour du silence ». Cela n'est-il pas antinomique avec la politique ? Effectivement, ce n'est pas la définition la plus immédiate de la politique... Quand je me rends dans un musée, une exposition, une galerie, je commence par regarder longuement et silencieusement autour de moi, par éprouver si une toile me saisit, puis je réfléchis, je m'évade, je regarde à nouveau et je vérifie si l'émotion reste en moi. Émotion, réflexion, érudition, le passage de l'un à l'autre s'opère et se défait : c'est une des bénédictions de l'art.Á la fin de votre livre, vous ne semblez pas très optimiste sur l'avenir de l'art plastique en France...Je constate les faits : l'art est largement soumis au marché, les marchés eux-mêmes dépendent de la puissance économique de chaque pays, et nous ne sommes malheureusement plus les premiers. Le rôle d'entraînement des collectivités publiques est primordial. L'initiative privée également, il faut l'encourager. Nous devrions aussi donner d'avantage de place à l'enseignement des disciplines artistiques. Le développement culturel peut être pour la France un atout extraordinaire.
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